Chronique de l’ancien monde : l’INPI pouvait-il exclure de la brevetabilité une invention dont il n’avait pas le pouvoir de contrôler la suffisance de description du moyen technique

Le 22 mai est promulguée la loi relative à la croissance et la transformation des entreprises qui modifie les conditions de l’examen par l’INPI de la demande de brevet.

L’arrêt rendu la veille de la loi Pacte par la Cour de Paris est d’une grande importance. Comment l’INPI pouvait-il appliquer l’exclusion de la brevetabilité de l’article L611-10 du C.P.I quand son contrôle  des critères de la brevetabilité était limité ? L’office n’aurait-il pas recherché par la sanction de L611-10 à réintroduire un pouvoir qu’il n’avait pas ?

Très brièvement les faits

17 décembre 2010 , T … dépose la demande de brevet « Procédé d’affichage temporel de la mission d ‘un aéronef »

18 juillet 2018, l’INPI notifie le rejet de la demande.

L’arrêt de la Cour de Paris indique deux motifs avancés par l’INPI :

  1. d’une part, l’objet de la demande de brevet, malgré l’intitulé des revendications, ne concernait qu‘une présentation d’informations associée à une méthode mathématique, dépourvue de caractéristiques techniques au sens de l’article L611-10-2° du code de la propriété intellectuelle,
  2. d’autre part, faute de caractéristiques techniques suffisantes, l’objet de la demande ne pouvait faire l’objet d’une comparaison avec l’état de la technique et ne permettait donc pas l’établissement du rapport de recherche prévu à l’article L 612-12 -14° du code de la propriété intellectuelle.

Ci-dessous sont reproduits quelques extraits de cet arrêt du 21 mai 2019

Le rappel du contrôle limité par l’INPI des conditions de la brevetabilité

Considérant, en droit, que l’article L. 613-12 du code de la propriété intellectuelle énonce les cas dans lesquels une demande de brevet peut être rejetée par le directeur général de l’INPI ; que contrairement aux pouvoirs de l’OEB, qui permettent un examen complet des conditions de fond de brevetabilité, ceux du directeur général de l’INPI sont strictement limités, ne permettant pas en particulier une appréciation des conditions de description suffisante, d’application industrielle ou d’activité inventive ; que s’il peut soulever l’absence de nouveauté, c’est à la seule condition que celle-ci résulte manifestement du rapport de recherche ;

Si le contrôle de l’exclusion de la brevetablité n’est pas limité, comment l’INPI peut-il l’exercer quand lui échappe l’examen de l’activité inventive

Que, sous réserve de ce qui précède, l’article L. 613-12 précité énonce que l’office français peut notamment rejeter la demande (…) 5° dont l’objet ne peut manifestement être considéré comme une invention au sens de l’article L. 611-10, deuxième paragraphe ; que ce dernier texte dispose que ne sont notamment pas considérées comme des inventions (…) d) les présentations d’informations, l’alinéa suivant précisant que la brevetabilité n’est alors exclue que dans la mesure où le brevet ne concerne que cet élément [les présentations d’informations] considéré en tant que tel ;

Que les directives d’examen de l’INPI et de l’OEB permettent alors de mieux appréhender ce que l’on doit entendre par une ‘présentation d’informations considérée en tant que telle’ ne permettant pas de qualifier le brevet demandé comme une invention ;

Que l’office français précise que si toute présentation d’information caractérisée uniquement par l’information qu’elle contient n’est pas brevetable, en revanche la façon de présenter une information, pour autant qu’elle soit distincte du contenu de l’information, peut présenter des caractéristiques techniques brevetables ;

Que l’office européen spécifie qu’on entend par ‘présentations d’informations’ la transmission d’informations à un utilisateur, visant à la fois le contenu cognitif de l’information et la manière dont celle-ci est présentée ; qu’en revanche, elle ne s’étend pas aux moyens techniques utilisés pour générer de telles présentations d’informations ; qu’il ajoute qu’il convient de prendre en considération l’objet de la revendication dans son ensemble ; qu’en particulier, une revendication qui a pour objet l’utilisation de moyens techniques pour présenter des informations ou qui définit une telle utilisation revêt dans son ensemble un caractère technique et n’est donc pas exclue de la brevetabilité ; qu’analysant ensuite cette notion dans le contexte de l’activité inventive (ce que ne peut faire l’INPI), l’OEB précise qu’une caractéristique qui définit une présentation d’informations produit un effet technique si elle aide de façon crédible l’utilisateur à effectuer une tâche technique au moyen d’un processus d’interaction homme-machine continu et/ou guidé ;

L’invention dont il est question, le moyen technique est à la seconde revendication

Considérant, en fait, que les revendications du brevet contesté se rapportent à la transmission d’informations à un utilisateur, spécifiquement le pilote ou le copilote d’un aéronef, pour que celui-ci obtienne une représentation cohérente et intégrée de sa mission, lui permettant en particulier de comprendre, d’anticiper et de prendre les décisions en toute connaissance de l’état de l’avion et de son environnement ;

Considérant qu’il a déjà été examiné que la revendication 1 actuelle fusionne les revendications 1 et 2 d’origine ; qu’il en découle qu’elle est caractérisée :

  • – en ce que les différentes étapes sont affichées dans une première fenêtre graphique comportant une échelle graduée en temps ou « timeline » (TL), les différentes étapes étant affichées en regard de l’horaire correspondant à leur accomplissement,
  • – en ce que si la longueur de la « timeline » est supérieure à la longueur de la première fenêtre graphique, la fenêtre graphique n’affiche alors qu’une partie de la ‘timeline’, partie imposée par l’utilisateur du dispositif de visualisation ;

Considérant que la première caractéristique revendique la fenêtre comportant la ‘timeline’ laquelle affiche les différentes étapes en regard de l’horaire correspondant à leur accomplissement ; qu’il a été décrit ci-dessus qu’une telle fenêtre, orientée ‘passé’ vers le bas et ‘futur’ vers le haut, coupée verticalement en son centre par une ligne des temps, comprend à sa gauche les heures de passage et à sa droite les points de passage remarquables incluant des mentions telles que la vitesse, l’altitude, outre la position actuelle de l’avion représentée par un symbole ‘A’ ; qu’il apparaît ainsi que cette caractéristique, bien que centrale du brevet dont la délivrance est requise, n’a pour objet que la transmission d’informations au pilote de l’aéronef, visant à la fois le contenu cognitif de l’information (les heures de passage et les points de passage) et la manière dont celle-ci est présentée (en fonction d’une ligne des temps) ; qu’elle ne revendique aucune caractéristique technique distincte et n’est donc pas par elle-même brevetable ;

Qu’en revanche, la seconde caractéristique revendique que :

– lorsque la longueur de la ‘timeline’ est supérieure à la longueur de la première fenêtre graphique,

– l’utilisateur (le pilote) peut alors n’afficher qu’une partie de la ‘timeline’ (qu’il ‘impose’) ;

Qu’il s’agit dès lors d’un moyen technique distinct du contenu des informations elles-mêmes, étant précisé que ce moyen aidant le pilote à sélectionner parmi celles-ci les plus pertinentes produit aussi un effet technique tel que défini ci-dessus ;

L’INPI ne peut pas sanctionner  par le défaut de brevetabilité, une insuffisance de la description du moyen technique

Que pour soutenir que cette caractéristique ne serait néanmoins pas brevetable, le directeur général de l’INPI fait valoir d’abord qu’elle spécifierait seulement un résultat à atteindre, en l’espèce imposer l’affichage d’une partie de la timeline, sans clairement exposer le moyen technique permettant d’atteindre ce résultat ; que cependant, alors qu’au stade de l’enregistrement le directeur général de l’INPI ne dispose pas du pouvoir d’apprécier une insuffisance de description du brevet, ce moyen est inopérant ; qu’il fait valoir ensuite que cette insuffisance de caractère technique ne permettrait pas une comparaison avec l’art antérieur en réalisant un rapport de recherche ; que cependant, rien n’empêche de rechercher dans l’art antérieur, par exemple dans la fenêtre ‘WL’ affichant sous forme de tableau la liste des points de passage, si l’utilisateur peut, lorsque la longueur de cette liste est supérieure à la longueur de la fenêtre, n’afficher qu’une partie de ladite liste ;

Qu’en conséquence la revendication 1, prise dans son ensemble, n’est pas exclue de la brevetabilité ;

Que les revendications 2 à 7, qui dépendantes de la revendication 1 en reprennent les caractéristiques, ne sont en conséquence pas non plus exclues de la brevetabilité ;

Qu’en tant que de besoin, la cour ajoutera que :

  • la revendication 3, qui permet au pilote, grâce à une action mécanique, de recentrer automatiquement la vue temporelle sur l’heure courante et la position courante de l’avion,
  • la revendication 4, qui lui permet d’utiliser une loupe pour dilater l’échelle des temps,
  • la revendication 7, qui lui permet, en déplaçant la loupe sur la timeline, d’entraîner le déplacement du symbole de l’aéronef sur la représentation graphique,

sont, pour les mêmes motifs qu’examinés ci-dessus, des moyens techniques distincts du contenu des informations elles-mêmes, lesquels aidant le pilote à sélectionner parmi celles-ci les plus pertinentes, produisent aussi un effet technique ; que les moyens soulevés par le directeur général de l’INPI visant en réalité à soulever une insuffisance de description sont inopérants à ce stade de la procédure ; qu’enfin il n’est pas justifié qu’il ne puisse être recherché dans les fenêtres de l’art antérieur des procédés permettant au pilote de recentrer automatiquement la vue temporelle sur l’heure courante et la position courante de l’avion, d’utiliser une loupe pour dilater une échelle des temps, ou, en déplaçant une telle loupe, d’entraîner le déplacement du symbole de l’aéronef sur la fenêtre de représentation graphique ;

Que pour l’ensemble de ces motifs, la décision du directeur général de l’INPI sera annulée ;