Concurrence et accord pour mettre un terme aux litiges entre brevets

Des brevets et de la concurrence par les mérites, c’était déjà sur ce blog

L’arrêt du Tribunal de l’union du 18 octobre 2023 rejette le recours d’entreprises contre une décision de la Commission qui les avait condamnées pour violation de l’article 101 TFUE et l’article 53 de l’accord EEE. L’arrêt

Les lignes qui suivent, s’intéressent aux risques associés aux brevets en cause et aux contreparties financières pour l’arrêt des procédures. Mais avant cela, sont reproduits les extraits des accords portant sur les brevets, et la décision de la Commission qui était contestée.

 Les accords litigieux tels qu’indiqués à la décision

16      Le 8 décembre 2005, Cephalon et Teva ont conclu un accord de règlement amiable (ci-après l’« accord de règlement »). L’accord de règlement a été également conclu pour leurs affiliés et a pris effet le 4 décembre 2005.

17      Aux termes de l’accord de règlement, il est prévu, notamment, que, en vertu de l’article 2, Teva s’engage à ne pas entrer de manière indépendante ni concurrencer Cephalon sur le marché du modafinil (ci-après la « clause de non-concurrence ») et à ne pas contester les brevets du modafinil de Cephalon (ci-après la « clause de non-contestation ») (ci-après, prises ensemble, les « clauses restrictives »).

Les articles 2.2 à 2.6 de l’accord de règlement comportent un ensemble de transactions portant sur :

–        une licence de Teva à Cephalon concernant les droits de propriété intellectuelle de Teva ;

–        une licence de Cephalon à Teva pour utiliser les données, dites CEP1347, codéveloppées par Cephalon dans le cadre d’études sur le traitement de la maladie de Parkinson ;

–        la fourniture de l’IPA du modafinil par Teva à Cephalon ;

–        des paiements par Cephalon à Teva pour les frais de contentieux évités ;

–        la distribution des produits de Cephalon au Royaume-Uni par Teva.

18      De même, l’accord de règlement prévoit, à son article 3, des droits génériques en faveur de Teva. Aux termes de cet article, Cephalon accorde à Teva une licence non exclusive pour le lancement de son produit générique du modafinil, y compris dans l’EEE, à partir de 2012 (ou plus tôt, dans le cas où une quelconque entité introduirait sur le marché un produit générique du modafinil).

19      Conformément à l’article 4 de l’accord de règlement, Teva et Cephalon se sont engagées à mettre immédiatement fin à leur contentieux au sujet du modafinil aux États-Unis et au Royaume-Uni.

20      L’accord de règlement comprend également les montants ou redevances impliqués dans les différentes transactions mentionnées aux points 17 et 18 ci-dessus.

Et le résumé de la décision de la Commission qui était attaquée

21      Le 26 novembre 2020, la Commission a adopté la décision attaquée.

22      La Commission a considéré que les requérantes avaient enfreint l’article 101 TFUE et l’article 53 de l’accord EEE en participant à l’accord de règlement dans le secteur pharmaceutique, contre paiement inversé. L’infraction concernait l’Allemagne, l’Autriche, la Belgique, la Bulgarie, Chypre, le Danemark, l’Espagne, la Finlande, la France, la Grèce, la Hongrie, l’Irlande, l’Islande, l’Italie, la Lettonie, le Liechtenstein, la Lituanie, le Luxembourg, la Norvège, les Pays-Bas, la Pologne, le Portugal, la Roumanie, le Royaume-Uni, la Slovaquie et la Suède et avait duré du 4 décembre 2005 au 12 octobre 2011, sauf en ce qui concernait la Bulgarie et la Roumanie, où l’infraction avait débuté le 1er janvier 2007, ainsi que la Hongrie, où l’infraction avait pris fin le 14 juin 2011 (article 1er de la décision attaquée).

23      Pour l’infraction susmentionnée, la Commission a infligé à Cephalon et à Teva des amendes s’élevant respectivement à 30 480 000 euros et à 30 000 000 euros (article 2 de la décision attaquée).

Les  points à relever

Les débats portaient notamment sur l’approche de « restriction par objet » de la Commission et de la prise en compte d’un ensemble contractuel et non de dispositions séparées, qui combine l’association d’un accord commercial et d’un accord de règlement amiable.

Ici ne sont cités que les développements propres aux approches techniques des brevets et des contreparties financières pour l’arrêt des procédures.

Sur les risques entre les brevets respectifs des entreprises

78      En effet, il résulte d’une présentation interne de 2003, faisant état des demandes de Teva relatives aux formes cristallines du modafinil, que Cephalon supposait qu’il y aurait probablement une « procédure d’interférence » entre elle et Teva, mais qu’elle disposait des droits antérieurs, de sorte qu’il n’y avait pas lieu de s’inquiéter.

79      De même, dans un courriel interne d’août 2005, le Dr H, conseiller en brevet en chef de Cephalon, a déclaré qu’il connaissait bien et depuis longtemps le « paysage des brevets » aux États-Unis et en Europe relatif au modafinil et qu’il n’y avait aucune raison de s’inquiéter de « problèmes de contrefaçon potentiels ».

80      En troisième lieu, s’agissant de l’étude effectuée par SSCI, demandée par Cephalon avant la conclusion de l’accord de règlement, il convient de constater que les résultats préliminaires n’ont été reçus par Cephalon qu’après la conclusion dudit accord, à savoir le 6 janvier 2006. En conséquence, lesdits résultats n’ont pas pu avoir été pris en considération par Cephalon pour évaluer un risque de contrefaçon lors de la conclusion de l’accord de règlement et ne permettent pas de déterminer si Cephalon avait un intérêt pour les DPI de Teva.

81      En quatrième lieu, la même conclusion s’impose en ce qui concerne le rapport M. (c’est-à-dire un avis du professeur M. du MIT) demandé par les requérantes lors de la procédure administrative, daté de 2018.

Sur les paiements destinés à éviter des frais de contentieux

143    L’article 2.5 de l’accord de règlement prévoit l’obligation pour Cephalon d’effectuer deux paiements à Teva en reconnaissance des économies réalisées par Cephalon (en évitant les coûts, les pertes de temps et de ressources, etc.) à la suite de la cessation des litiges en cours au Royaume-Uni et de la prévention d’éventuels litiges portant sur le modafinil entre les deux parties sur d’autres marchés, à savoir :

–        un paiement de 2,1 millions de GBP (environ 3,07 millions d’euros) pour mettre fin au litige en cours au Royaume-Uni [article 2, paragraphe 5, sous b), de l’accord de règlement] ;

–        un paiement de 2,5 millions d’euros pour prévenir d’éventuels litiges futurs en matière de brevets ou autres sur les marchés européens et sur d’autres marchés en dehors des États-Unis ou du Royaume-Uni [article 2, paragraphe 5, sous c), de l’accord de règlement].

144    En vertu de l’article 2, paragraphe 5, sous b), de l’accord de règlement, la libération de l’obligation en cause tenait compte de la nécessité d’éviter les coûts futurs que Cephalon aurait supportés et qu’elle était ainsi en mesure d’économiser, à savoir « des coûts, de la dépense de temps et de ressources, des perturbations et des charges liées à la poursuite de tels litiges au Royaume-Uni ».

145    Conformément à l’article 4.2 de l’accord de règlement, Cephalon et Teva ont supporté leurs propres dépens en ce qui concerne le règlement du litige au Royaume-Uni.

Ce que dit le Tribunal :

  • Sur la renonciation aux procédures cumulée aux paiements.

156    Comme l’a fait valoir la Commission dans ses écritures et comme elle l’a indiqué dans la décision attaquée, il n’y avait aucune logique à ce que Teva, outre le fait d’éviter de futurs frais contentieux, tout comme Cephalon, obtienne également deux paiements en espèces correspondant prétendument aux frais de contentieux évités par Cephalon.

  • Mais à quoi correspondaient ces montants ?

158    Il importe également de relever, à l’instar de la Commission, que les requérantes ne contestent pas le fait que le dossier ne contient aucun élément démontrant que les montants de ces sommes ont été convenus sur la base d’une estimation par les parties des frais évités par Cephalon. En effet, il ressort du dossier que les paiements ont été dissociés de tout litige réel ou potentiel. En particulier, les requérantes ne contestent pas que le paiement relatif aux frais de contentieux évités correspondait à un montant calculé sur la base des prévisions de ventes de modafinil au Royaume-Uni, telles qu’établi par Teva au cours de la procédure judiciaire (voir point 143, premier tiret, ci-dessus), et que ce montant n’était pas lié à d’éventuels frais de contentieux évités. Elles ne contestent pas non plus que, lorsque le montant de la somme à payer pour les frais de contentieux évités dans d’autres juridictions (voir point 143, second tiret, ci-dessus) a été augmenté, le paiement unique pour l’accord de distribution au Royaume-Uni a été réduit à due concurrence, ce qui a conduit à la réaffectation des sommes en question dans deux paiements apparemment indépendants.