L’avis de la CJCE du 8 mars 2011 met un terme au projet de la juridiction extra-communautaire et extra-nationale en matière de brevet européen et communautaire

Cour de justice de l'Union européenne
Cour de justice de l'Union européenne

L’avis rendu le 8 mars 2011 par la CJCE réunie en Assemblée Plénière met un terme au projet de transfert de compétence à une entité extérieure à l’Union Européenne des questions de validité des brevets européens et communautaires ayant effet sur son territoire. Cet avis est net :

L’accord envisagé créant un système unifié de règlement des litiges en matière de brevets (actuellement dénommé «Juridiction du brevet européen et du brevet communautaire») n’est pas compatible avec les dispositions du traité UE et du traité FUE.

La Cour a tenu à rappeler la coopération existante qu’elle entretient avec les juridictions nationales au sein du dispositif communautaire :

« ….Le système instauré à l’article 267 TFUE établit, dès lors, une coopération directe entre la Cour et les juridictions nationales dans le cadre de laquelle ces dernières participent de façon étroite à la bonne application et à l’interprétation uniforme du droit de l’Union ainsi qu’à la protection des droits conférés par cet ordre juridique aux particuliers.

85. Il découle de l’ensemble de ces éléments que les fonctions attribuées, respectivement, aux juridictions nationales et à la Cour sont essentielles à la préservation de la nature même du droit institué par les traités. »

Quatre motifs à cet avis :

  • « Le principe selon lequel un État membre est obligé de réparer les dommages causés aux particuliers par des violations du droit de l’Union qui lui sont imputables est valable pour toute hypothèse de violation dudit droit, et il s’applique également, sous certaines conditions particulières, aux organes juridictionnels
  • En cas de violation du droit de l’Union par une juridiction nationale, les dispositions des articles 258 TFUE à 260 TFUE prévoient la possibilité d’une saisine de la Cour aux fins de la constatation d’un tel manquement à l’égard de l’État membre concerné
  • une décision de cette juridiction des brevets qui violerait le droit de l’Union, ne pourrait faire l’objet d’une procédure en manquement ni entraîner une quelconque responsabilité patrimoniale dans le chef d’un ou de plusieurs États membres.
  • l’accord envisagé, …. priverait les juridictions des États membres de leurs compétences concernant l’interprétation et l’application du droit de l’Union ainsi que la Cour de la sienne pour répondre, à titre préjudiciel, aux questions posées par lesdites juridictions et, de ce fait dénaturerait les compétences que les traités confèrent aux institutions de l’Union et aux États membres qui sont essentielles à la préservation de la nature même du droit de l’Union. »

A noter également l’appréciation de la Cour quant à cette juridiction des brevets qui n’aurait pas eu uniquement des questions de brevet à examiner :

« 78. ….., la juridiction internationale envisagée …….est appelée à interpréter et à appliquer non seulement les dispositions dudit accord, mais également le futur règlement sur le brevet communautaire ainsi que d’autres instruments du droit de l’Union, notamment des règlements et des directives avec lesquels ledit règlement devrait, le cas échéant, être lu conjointement, à savoir des dispositions relatives à d’autres régimes de propriété intellectuelle, ainsi que des règles du traité FUE concernant le marché intérieur et le droit de la concurrence. De même, la JB peut être appelée à trancher un litige pendant devant elle au regard des droits fondamentaux et des principes généraux du droit de l’Union, voire à examiner la validité d’un acte de l’Union. »

Les dispositions de l’accord envisagé qui ont été soumises à cet avis :

L’article 14 bis de ce projet prévoit:

«Droit applicable

1)      Lorsqu’elle a à connaître d’une affaire dont elle est saisie conformément au présent accord, la Juridiction du brevet respecte le droit communautaire et fonde ses décisions sur:

a)      le présent accord;

b)      la législation communautaire directement applicable, notamment le règlement […] du Conseil sur le brevet communautaire, et la législation nationale des États contractants mettant en œuvre la législation communautaire; […]

c)      la Convention sur le brevet européen et la législation nationale adoptée par les États contractants conformément à ladite Convention;

d)      toute disposition des accords internationaux applicables aux brevets et contraignants à l’égard de toutes les parties contractantes.

2)      Dans les cas où la Juridiction du brevet fonde ses décisions sur la législation nationale des États contractants, la loi applicable est déterminée:

a)      par les dispositions directement applicables de la législation communautaire; ou

b)      en l’absence de dispositions directement applicables de la législation communautaire, par les instruments internationaux de droit international privé auxquels toutes les parties contractantes sont parties; ou

c)      en l’absence de dispositions visées aux points a) et b), par les dispositions nationales de droit international privé déterminées par la Juridiction du brevet.

3)      Un État contractant qui n’est pas partie à l’Accord sur l’Espace économique européen met en vigueur les dispositions législatives, réglementaires et administratives nécessaires pour se conformer à la législation communautaire relative au droit matériel des brevets.»

L’article 15 du projet d’accord est libellé comme suit:

«Compétence

1)      La Juridiction du brevet a une compétence exclusive pour:

a)      les actions en contrefaçon ou en menace de contrefaçon de brevets et de certificats complémentaires de protection et les défenses y afférentes, y compris les demandes reconventionnelles concernant les licences;

a 1)      les actions en constatation de non-contrefaçon;

b)      les actions visant à obtenir des mesures provisoires et conservatoires ou des ordonnances;

c)      les actions en nullité ou les demandes reconventionnelles en nullité de brevets;

d)      les actions en dommages-intérêts ou en réparation découlant de la protection provisoire conférée par une demande de brevet publiée;

e)      les actions relatives à l’utilisation de l’invention avant la délivrance du brevet ou au droit fondé sur une utilisation antérieure du brevet;

f)      les demandes d’octroi ou de révocation de licences obligatoires sur les brevets communautaires; et

g)      les actions en réparation concernant les licences […]

2)      Les juridictions nationales des États contractants sont compétentes pour les actions relatives aux brevets communautaires et aux brevets européens qui ne relèvent pas de la compétence exclusive de la Juridiction du brevet.»

Les compétences territoriales des différentes divisions du tribunal de première instance de la JB sont délimitées à l’article 15 bis, paragraphe 1, du projet d’accord comme suit:

«Les actions visées à l’article 15, paragraphe 1, points a), b), d) et e) sont portées devant:

a)      la division locale située sur le territoire de l’État contractant où la contrefaçon ou la menace de contrefaçon s’est produite ou est susceptible de se produire, ou devant la division régionale à laquelle ledit État contractant participe; ou

b)      la division locale située sur le territoire de l’État contractant où le défendeur est domicilié ou devant la division régionale à laquelle ledit État contractant participe.

Les actions formées contre des défendeurs domiciliés en dehors du territoire des États contractants sont portées devant la division locale ou la division régionale conformément au point a).

Si aucune division locale ne se trouve sur le territoire de l’État contractant et que ce dernier ne participe pas à une division régionale, les actions sont portées devant la division centrale.»

12. L’article 48 dudit projet énonce:

«1)      Lorsque le tribunal de première instance est saisi d’une question portant sur l’interprétation du traité [CE] ou la validité et l’interprétation d’actes adoptés par les institutions de la Communauté européenne, il peut, s’il le juge nécessaire pour pouvoir rendre une décision, demander à la Cour de justice […] de statuer sur la question. Lorsque la cour d’appel est saisie d’une telle question, elle demande à la Cour de justice […] de statuer sur ladite question.

2)      La décision rendue par la Cour de justice […] concernant l’interprétation du traité [CE] ou la validité et l’interprétation d’actes adoptés par les institutions de la Communauté européenne est contraignante à l’égard du tribunal de première instance et de la cour d’appel.»

La rédaction de ces articles étant celle des textes remis à la Cour :

  • le document 8588/09 du Conseil, du 7 avril 2009, relatif à la proposition révisée de règlement du Conseil sur le brevet communautaire, élaboré par la présidence du Conseil à l’intention du groupe «Propriété intellectuelle» (Brevets);
  • le document 7928/09 du Conseil, du 23 mars 2009, relatif à un texte révisé de la présidence sur un projet d’accord sur la juridiction du brevet européen et du brevet communautaire et sur un projet de statut de cette juridiction;
  • le document 7927/09 du Conseil, du 23 mars 2009, concernant une recommandation de la Commission au Conseil visant à autoriser la Commission à ouvrir des négociations en vue de l’adoption d’un accord international «créant un système unifié de règlement des litiges en matière de brevets» européens et communautaires.

Dans leur grande majorité, les Etats étaient hostiles à ce transfert de compétence.

Le gouvernement français avait une position plus nuancée, des aménagements auraient été possibles. En se reportant à l’arrêt :

« Le gouvernement français soutient que le projet d’accord est, en principe, compatible avec les traités. Toutefois, la procédure de renvoi préjudiciel prévue devrait être complétée par un mécanisme ouvert aux parties et/ou, le cas échéant, aux États membres ainsi qu’à la Commission, en vue d’assurer le respect du droit de l’Union et de sa primauté par la JB. Il pourrait également être envisagé la mise en place d’un pourvoi dans l’intérêt de la loi, à l’initiative de la Commission ou d’un État membre ou d’une procédure de réexamen par la Cour des arrêts de la cour d’appel de la JB, en cas de risque sérieux d’atteinte à l’unité ou à la cohérence du droit de l’Union. »