Le doute raisonnable profite au brevet délivré et la charge de la preuve du défaut de brevetabilité appartient à celui qui conteste la validité du titre

L’arrêt du 13 janvier introduit également la notion de doute raisonnable lors du débat sur la suffisance de la description du brevet détenu par ELI LILLY, dont la société SANDOZ conteste la validité.

A rappeler, ici, la mise en garde de notre précédent article sur les omissions des caractères, figures et symboles dans les développements de l’arrêt sur l’insuffisance de description alléguée par SANDOZ, ci-après reproduits

8 – Sur l’insuffisance de description :

L’article 83 de la Convention européenne sur le brevet européen prévoit que l’invention doit être exposée dans la demande de brevet de façon suffisamment claire et complète pour qu’un homme du métier puisse l’exécuter ;

L’article 138 (1) b) de la Convention sur le brevet européen dispose que le brevet est déclaré nul par décision de justice s’il n’expose pas l’invention de façon suffisamment claire et complète pour qu’un homme du métier puisse l’exécuter ;

La société SANDOZ soutient pour la première fois en cause d’appel que la description du brevet ne donne pas toutes les indications nécessaires à l’homme du métier pour qu’il puisse obtenir de la Gemcitabine par la voie d’une réaction SN2 ;

Elle ajoute que seules des expérimentations précises auraient permis à la société ELI LILLY de conclure que son procédé passait effectivement par une voie SN2 et que l’homme du métier ne pourra pas reproduire cette caractéristique car le brevet ne lui en donne pas les moyens à cette fin ;

Elle reproche à la société titulaire du brevet de ne revendiquer la voie SN2 que pour se démarquer du document Chou ;

La société ELI LILLY ne s’est pas directement exprimée sur ce nouveau moyen dans ses dernières écritures d’appel ; elle soutient toutefois que la description des exemples du brevet aux pages 32 et 45 donne à l’homme du métier tous les moyens nécessaires pour lui permettre d’obtenir la Gemcitabine selon un procédé de réaction SN2 et que la société SANDOZ n’a pas auparavant contesté la validité du brevet pour insuffisance de description ;
S’il incombe à chaque partie de prouver conformément à la loi les faits nécessaires au succès de sa prétention, il appartient à celui qui soutient que l’invention n’est pas suffisamment décrite d’en rapporter la preuve, en pesant les probabilités que l’homme du métier du brevet serait incapable d’exécuter l’invention à partir de ses seules connaissances scientifiques et technologiques, précision devant être faite que la preuve doit être rapportée au delà d’un doute raisonnable et que le bénéfice de
ce doute doit profiter au titulaire du brevet ;

Or la société SANDOZ ne rapporte pas cette preuve puisqu’elle ne fait que soutenir que l’homme de l’art ne pourra pas reproduire la caractéristique SN2 car le brevet ne lui donne pas les moyens à cette fin ; que les expérimentations qu’elle invoque dans ses écritures et qu’elle fait porter à la charge du titulaire du brevet étaient un moyen pour elle de démontrer que l’homme du métier à l’aide de ses connaissances générales et des informations issues de la description ne serait pas parvenu à l’objet de la revendication ;
Il convient au contraire de constater que la description indique notamment comment l’hydrate de carbone enrichi en anomère ‘ de formule II doit être préparé selon un premier procédé à basse température (page 7 ligne 4 à page 10 ligne 18) ou un second procédé dit d’anomérisation (page10 ligne 25 à page 13 ligne 31), comment les réactions de glycosylation se produisent (page 6 lignes 19 à page 7 ligne 3), quelle quantité et quel type de base nucléique doit être utilisée par rapport à la quantité de glucide (page 14 lignes 1 à 7), quels solvants (page 17 lignes 14 à 18) et conditions de températures (page 8 ligne 3 à page 9 ligne 19) doivent être mises en oeuvre, quels catalyseurs (page 22 lignes 26 à page 23 ligne 5) et quels groupes protecteurs (page 12 ligne 33 à page 13 ligne 31)
doivent être utilisés ;

Enonçant les paramètres connus de l’homme du métier à la date du dépôt du brevet et citant les déclarations du Professeur Boons (paragraphes 78 et 79) qui, s’il précise qu’il ne sera pas toujours possible, pour une réaction donnée de prévoir les conditions qui permettront de conduire à une réaction de type SN2 ajoute cependant que pour favoriser un tel mécanisme SN2, il est nécessaire de diminuer le volume stérique, c’est-à-dire le volume occupé dans l’espace, d’agir sur les paramètres qui conduisent à la stabilisation de la carbocation qui favorisent la voie SN1, de choisir la nature du solvant qui influence l’équilibre entre les réactions SN1 et SN2, d’augmenter la capacité du groupement partant afin d’augmenter vitesse de la réaction SN2, l’augmentation de la concentration
du nucléophile accroîtra la vitesse de réaction d’une SN2 ;

Il s’en déduit que l’homme du métier qui connaît les critères favorisant la voie SN2 trouvera dans les nombreux exemples de la description du brevet les conditions pour mettre en oeuvre l’invention ;

Il convient au surplus de préciser qu’il y a lieu de lire la description comme les revendications avec l’intention de les comprendre et de leur donner un sens du point de vue technique plutôt que de les examiner en manquant d’esprit constructif et avec l’intention de trouver des arguments pour ne pas parvenir à la réalisation de l’invention ;

Et quand bien il subsisterait certaines ambiguïtés dans l’exposé de l’invention, ce qui n’est pas démontré, il appartiendrait encore à la société SANDOZ de démontrer que celles-ci empêcheraient l’homme du métier en dépit de ses connaissances techniques générales de réaliser l’invention ;

De même, les 58 exemples cités dans la description lesquels ne montreraient selon la société SANDOZ que des valeurs inégales et aléatoires quant à l’enrichissement en anomère ‘ ne servent qu’à illustrer les revendications et ne sauraient en eux-mêmes justifier une insuffisance de description ;

La description contient donc suffisamment d’informations pour permettre à l’homme du métier de réaliser l’invention ;