La licence d’office : un marronnier ?

Depuis le début de la pandémie, la liste des articles sur la licence dite libre, d’office, obligatoire,  judiciaire ou même gouvernementale ne cesse de s’allonger. Sous ces différents termes, un même but : l’exploitation de l’invention sans l’autorisation du titulaire du brevet.

Même en cas « de situations d’urgence nationale ou d’autres circonstances d’extrême urgence », les accords ADPIC prévoient les conditions dans lesquelles un Etat peut prévoir une telle exploitation.

Classiquement en France, elles étaient à rechercher dans le Code de la propriété intellectuelle.

  • Pour cause de délai, écartons la licence d’office « de manière à satisfaire à l’économie » (art. L613-18). Sa mise en œuvre n’est prévue que si « l’absence d’exploitation ou l’insuffisance en qualité ou en quantité de l’exploitation entreprise porte gravement préjudice au développement économique et à l’intérêt public » après que le propriétaire du brevet ait été mis en demeure et, ce après un délai d’un an !
  • Resterait la licence d’office dans l’intérêt de la santé publique ( art. L613-16).
    • Même si les demandes de brevet en sont exclues, elle couvre après l’énumération des inventions en cause un large périmètre : les « produits, ou des produits issus de ces procédés, ou ces méthodes sont mis à la disposition du public en quantité ou qualité insuffisantes ou à des prix anormalement élevés, ou lorsque le brevet est exploité dans des conditions contraires à l’intérêt de la santé publique ».
    • Mais sa mise œuvre prévoit une phase préalable. Création d’une commission ad’ hoc, notification de la décision motivée des ministres concernés, et observations du propriétaire du brevet. Tout ceci dans un délai de deux mois.
    • A supposer le brevet soumis à la licence d’office, encore faut-il qu’un industriel demande à en bénéficier et qu’un accord intervienne sur le montant des redevance pour qu’ensuite la production soit lancée.
    • Certes, on n’image pas un gouvernement se lancer dans cette mécanique sans savoir par avance quel industriel en serait bénéficiaire. Toutefois, un tel dispositif ne pourrait fonctionner que sous réserve que tout le savoir-faire nécessaire d’accompagnement à l’invention brevetée, – éventuellement protégé par le secret des affaires – , soit connu par cet industriel. Rien n’est moins sûr….
    • Autre facteur qui alourdit sa mise en œuvre : quand le vaccin et sa production sont sous plusieurs brevets appartenant à différents titulaires.

Aucun de ces dispositifs n’apportent l’immédiateté que réclame l’opinion publique qui, il y a un mois, semblait encore refuser la vaccination.

La licence d’office n’a plus les faveurs de la presse, la presse française semble l’avoir enterrée.

  • Libération par trois articles :

Camille Gévaudan, le 31 janvier, « Une licence ouverte pour les vaccins, douce utopie ou arme fatale anti-covid », l’article

Jean Quatremer, le 27 janvier, « Faut-il nationaliser les vaccins contre le Covid-19? » , l’article, et le 4 févier,  « Vaccins: l’Europe, un bouc émissaire trop facile », l’article

  • Le Monde :

Jean Michel Bezat, le 9 février, « Brevets des labos et bien public mondial », l’article

Ajouts du 12 février 2021

  • « On ne peut pas mettre en place un site de production du jour au lendemain. Sa production intègre jusqu’à 400 composants différents et implique jusqu’à 100 entreprises« . Ursula Von der Leyen, les Échos du 11 février 2021, l’article.
  • Gaëlle Krikorian « l’OMC pourrait décider que la propriété intellectuelle ne s’applique pas aux produits COVID-19« . Idées, Le Monde du 11 février 2021, l’entretien

Est à rappeler également la déclaration le 8 octobre 2020 de Moderna :

« …..

Outre le vaccin de Moderna, il existe d’autres vaccins COVID-19 en cours de développement qui pourraient utiliser des technologies brevetées par Moderna. Dans les circonstances actuelles, nous nous sentons particulièrement obligés d’utiliser nos ressources pour mettre fin à cette pandémie le plus rapidement possible. En conséquence, tant que la pandémie se poursuivra, Moderna ne fera pas valoir ses brevets relatifs à COVID-19 contre les fabricants de vaccins destinés à la combattre. En outre, afin d’éliminer toute barrière de propriété intellectuelle perçue pour le développement de vaccins pendant la période pandémique, nous sommes également prêts à concéder, sur demande, des licences de notre propriété intellectuelle pour les vaccins COVID-19 à d’autres personnes pour la période post-pandémique….. »

La déclaration complète en anglais