Commerce en ligne : la saisie-contrefaçon en matière de brevet est autorisée dans les locaux de l’huissier qui s’est fait livrer les articles litigieux

Avec le commerce en ligne, se sont multipliés « les constats sur Internet ». Mais quelques fois, les objets litigieux nécessitent une description. En matière de brevet, une saisie-contrefaçon peut-elle avoir lieu chez l’huissier qui a commandé  en ligne ?

L’arrêt rendu le 26 avril 2013 par la Cour de Paris apporte une première réponse.

  • Très brièvement les parties, et la procédure antérieure

La société CORE a engagé une action en contrefaçon de la partie française du brevet EP n° 1 448 865 portant sur des échelles télescopiques contre la société CASTORAMA.

La société MIRAL distributeur exclusif de la société CORE est intervenue dans la procédure. Différentes sociétés qui  fournissent la société CASTORAMA ont été appelées en garantie les sociétés Browaeys Brame et Axxom.

Le jugement du 10 avril 2010 a déclaré nulles pour défaut d’activité inventive les revendications 1 à 16, 19, 20, et 33 et a rejeter les demandes en contrefaçon, il a également rejeté les demandes en nullité des procès-verbaux de saisie-contrefaçon. La Cour de Paris par arrêt du 26 avril confirme le jugement.

Les développements qu’accorde cet arrêt aux débats sur le procès-verbal de saisie–contrefaçon du 3 mai souligne son originalité : la saisie-contrefaçon intervient dans les locaux de l’huissier qui avait commandé par Internet les échelles litigieuses.

  • Les actes de l’huissier

Sur la validité des procès-verbaux de constat d’achat des 9 et 15 avril 2010 et de saisie-contrefaçon du 03 mai 2010 :

Considérant que l’huissier requis par la société Core a procédé à la commande de trois échelles télescopiques sur le site internet de la société Castorama, <www.castorama.fr> afin de se les faire livrer et a dressé un constat d’achat ; qu’autorisé par le délégataire du Président du tribunal de grande instance de Paris à procéder à une saisie-contrefaçon le

03 mai 2010, il a dressé le même jour un procès-verbal de saisie-contrefaçon portant sur lesdites échelles entre ses propres mains;

  • La position des parties qui demandent la nullité des actes de l’huissier

Qu’au soutien de sa demande de nullité de ces opérations, la société Browaeys Brame fait valoir qu’à tort, le tribunal a considéré que le constat était purement matériel, que l’huissier n’avait pas outrepassé ses droits et que, pour particulière qu’elle soit, aucun texte n’interdit que soit pratiquée une saisie-contrefaçon entre les mains d’une personne autre que le contrefacteur ;

Qu’elle fait valoir qu’une telle pratique consistant à procéder en deux temps et qui est contraire tant à la législation européenne qu’au droit commun des ordonnances sur requête ne peut être validée, dans la mesure où elle est fondée sur un constat d’achat nul dénaturant le procédé de la saisie contrefaçon, du fait que les voies de recours ne sont pas précisées dans l’ordonnance de saisie-contrefaçon, ce qui cause de facto un grief à la société saisie, et qu’en outre l’expert assistant l’huissier n’est pas nominativement mentionné contrairement aux exigences du code de la propriété intellectuelle fondant la saisie-contrefaçon en matière de brevet ;

Que souscrivant à l’argumentation de la société Browaeys Brame, la société Axxom ajoute que, dans le cadre d’un constat d’achat, il n’appartient pas à l’huissier, sauf autorisation préalable, mais au requérant de procéder à l’achat, qu’il n’a pas constaté mais agi pour le compte d’un tiers par le biais d’un traitement automatisé de sa commande et que ce constat d’achat est une ‘saisie-contrefaçon déguisée’ grâce auquel l’huissier s’est affranchi du respect des règles légales ; que la saisie-contrefaçon pratiquée par la suite et qui repose sur un acte ‘qui n’existe pas’ doit être annulée, d’autant que ce procédé, hors la présence des intéressés et sans notification de l’ordonnance et du procès-verbal de saisie, avec l’indication des voies de recours, méconnaît le principe du contradictoire ;

Que la société Castorama conclut dans la même sens et, estimant que le procédé est un ‘simulacre’, estime que rien ne justifiait le recours à la saisie-contrefaçon, puisque la société Core pouvait très bien procéder à la description qu’elle a faite sur l’échelle, objet du constat, sans autorisation de justice ;

  • L’analyse de la Cour

Considérant, ceci rappelé, que les appelantes répliquent à juste titre que l’huissier tire de l’article 1 § 2 de l’ordonnance du 2 novembre 1945 le droit de procéder à des constatations à la requête de particuliers, qu’il était habile à le faire sans autorisation préalable dès lors qu’il a procédé à un achat à domicile sans pénétrer dans la propriété d’un tiers et qu’il a dûment décliné son identité avant de procéder à l’achat litigieux sur le site marchand de la société Castorama ;

Qu’aucun excès de pouvoir ne saurait lui être reproché du fait qu’il n’a fait qu’effectuer des constatations matérielles portant sur l’offre à la vente sur un site marchand ayant opté pour une gestion automatisée des commandes ainsi que sur la réception des objets commandés qu’il a placés sous scellés, que, par ailleurs, les intimées ne lui opposent aucun texte lui en faisant interdiction et qu’il s’est abstenu, comme lui en fait défense le texte précité, de tout avis sur les conséquences de fait ou de droit pouvant en résulter ;

Que dans la mesure où l’article L 615-5 du code de la propriété intellectuelle permet à toute personne ayant qualité pour agir en contrefaçon de faire procéder ‘en tout lieu’ à une saisie, descriptive ou réelle, et eu égard aux motifs de la requête aux fins de saisie-contrefaçon précisant au délégataire du Président du tribunal de grande instance que ‘les trois exemplaires de l’échelle télescopique litigieuse commercialisée par la société Castorama France et achetés le 9 avril par Maître P ont été livrés à l’étude de Maître P située (…), le 15 avril 2010, les scellées y étant immédiatement apposées’ et qu’‘à la date de la présente requête, il semble qu’aucun des magasins à l’enseigne Castorama n’ait de stock de l’échelle litigieuse’, il ne peut être considéré que la saisie-contrefaçon dont l’exécution a été autorisée, dans ce contexte particulier, ‘dans les locaux appartenant à ou occupés par la SCP Jezequel Pinheiro Gruel situé (…) ainsi que dans tous autres lieux situés dans le ressort de la cour d’appel de Paris où ladite échelle aurait pu être transportée par Maître P afin de faciliter les opérations’ contrevenait à ce texte ;

Que, certes, la succession de ces actes d’huissier qui portaient sur un produit commercialisé par la société Castorama n’a pas donné lieu à la remise à la société Castorama, préalablement aux opérations de saisie-contrefaçon, de l’ordonnance l’autorisant pas plus que ne lui a été signifié le procès-verbal de saisie-contrefaçon mentionnant les voies de recours qui lui étaient ouvertes ;

Que, toutefois, outre le fait que les opérations litigieuses se sont en faisant interdiction et qu’il s’est abstenu, comme lui en fait défense le texte précité, de tout avis sur les conséquences de fait ou de droit pouvant en résulter ;

Que dans la mesure où l’article L 615-5 du code de la propriété intellectuelle permet à toute personne ayant qualité pour agir en contrefaçon de faire procéder ‘en tout lieu’ à une saisie, descriptive ou réelle, et eu égard aux motifs de la requête aux fins de saisie-contrefaçon précisant au délégataire du Président du tribunal de grande instance que les trois exemplaires de l’échelle télescopique litigieuse commercialisée par la société Castorama France et achetés le 9 avril par Maître P ont été livrés à l’étude de Maître P située (…), le 15 avril 2010, les scellées y étant immédiatement apposées’ et qu’‘à la date de la présente requête, il semble qu’aucun des magasins à l’enseigne Castorama n’ait de stock de l’échelle litigieuse’, il ne peut être considéré que la saisie-contrefaçon dont l’exécution a été autorisée, dans ce contexte particulier, ‘dans les locaux appartenant à ou occupés par la SCP Jezequel Pinheiro Gruel situé (…) ainsi que dans tous autres lieux situés dans le ressort de la cour d’appel de Paris où ladite échelle aurait pu être transportée par Maître P afin de faciliter les opérations’ contrevenait à ce texte ;

Que, certes, la succession de ces actes d’huissier qui portaient sur un produit commercialisé par la société Castorama n’a pas donné lieu à la remise à la société Castorama, préalablement aux opérations de saisie-contrefaçon, de l’ordonnance l’autorisant pas plus que ne lui a été signifié le procès-verbal de saisie-contrefaçon mentionnant les voies de recours qui lui étaient ouvertes ;

Que, toutefois, outre le fait que les opérations litigieuses se sont bornées à décrire de manière détaillée, avec toutes photographies utiles, l’échelle télescopique ainsi que la notice d’utilisation, sans pénétrer dans les locaux de la société Castorama et sans saisie de documents susceptibles de se rapporter aux faits de contrefaçon incriminés, il était loisible à la société Castorama qui pouvait se prévaloir de la qualité de ‘partie affectée’ au sens de l’article 7.1 alinéa 2 de la directive (CE) 2004/48 ou d »intéressé’ au sens de l’article 496 du code de procédure civile, de contester la mesure ; qu’il est constant qu’elle a eu connaissance de celle-ci lors de la délivrance de l’acte introductif d’instance le 28 mai 2010 et qu’elle s’en est, cependant, alors abstenue ;

Qu’enfin, s’il est vrai que le nom de l’expert ayant assisté l’huissier n’était pas mentionné dans la requête, c’est à juste titre que le tribunal énonce que l’article L 615-5 alinéa 2 du code de la propriété intellectuelle n’exige pas que la requête désigne nommément cet expert mais autorise le demandeur à désigner l’expert dont l’ordonnance présidentielle prévoit l’assistance et qu’en l’espèce il était expressément prévu que l’huissier instrumentaire serait assisté par un conseil en propriété industrielle ;

Qu’il suit que la demande des sociétés intimées tendant à voir prononcer la nullité du procès-verbal de constat dressé par l’huissier les 9 et 15 avril 2010 et du procès-verbal de saisie-contrefaçon dressé le 03 mai 2010 doit être rejetée et que le jugement qui en a ainsi décidé doit être confirmé ;