Quelle définition de l’homme du métier le juge doit–il indiquer ?

La Cour de cassation, le 20 novembre 2012,  exigerait-elle que le juge énumère précisément les compétences de l’homme du métier ou ne se prononce-t-elle que sur un arrêt ne l’ayant défini que de manière négative  ?Boegli, société suisse,  est titulaire du brevet européen n° 1 324 877 déposé le 3 octobre 2001, sous priorité d’un brevet suisse déposé le 13 octobre 2000, désignant la France et couvrant un dispositif pour gaufrer et satiner un matériau plat.

Boegli poursuit en contrefaçon la société de droit russe Darsail pour commercialisation de dispositifs en violation des revendications 1, 2, 5 et 8 du brevet.

Le 23 mars 2011,  la Cour d’appel de Paris annule les revendications en cause pour défaut d’activité inventive.

Voyons ce que la Cour de cassation retient de l’arrêt de la Cour d’appel pour en prononcer la cassation le 20 novembre 2012 :

« l’arrêt, après avoir constaté que, selon la nature de la feuille d’emballage à traiter et la proportion des reliefs à créer sur celle-ci, la technique utilisée relevait de l’emboutissage, de l’estampage, du gaufrage ou du satinage, retient que l’homme du métier n’est ni un concepteur de machine-outil, ni un ingénieur en micro mécanique possédant des connaissances en optique ;

Attendu qu’en statuant ainsi, sans donner une définition précise de l’homme du métier, alors que l’activité inventive des revendications du brevet européen en cause devait s’apprécier au regard de l’homme du métier qui était celui du domaine technique où se posait le problème que l’invention, objet de ce brevet, se proposait de résoudre, la cour d’appel a violé les textes susvisés  [L. 614-12 du code de la propriété intellectuelle et les articles 56 et 138 de la Convention sur le brevet européen ]; »

Des moyens du pourvoi  nous en diront peut-être un peu plus.

« ALORS, D’UNE PART, QUE l’activité inventive d’un brevet s’apprécie en se plaçant du point de vue de l’homme du métier, défini comme l’homme du domaine technique dans lequel se pose le problème que se propose de résoudre l’invention ; qu’en se bornant à relever que la technique en cause en l’espèce relèverait « en fonction de la proportion des reliefs et de la nature de la surface, de l’emboutissage, de l’estampage ou du satinage », et que l’homme du métier ne serait ni un concepteur de machine-outil, ni un ingénieur en micro-mécanique possédant des connaissances en optique, sans définir précisément l’homme du métier au regard duquel l’activité inventive du brevet européen n° 1 324 877 devait être appréciée, la Cour d’appel a violé les articles L. 614-12 du Code de la propriété intellectuelle et 56 et 138 de la Convention sur le brevet européen ;

ALORS, D’AUTRE PART, QUE l’homme du métier est celui du domaine technique dans lequel se pose le problème que se propose de résoudre l’invention ; que l’appréciation du caractère évident de la solution proposée par le brevet n’intervient qu’au stade de l’examen de l’activité inventive, en se plaçant du point de vue de l’homme du métier, et ne peut donc, par hypothèse, intervenir dans la définition de ce dernier ; qu’en retenant que l’homme du métier ne serait pas un ingénieur possédant des connaissances en optique, pour la seule raison que l’effet d’ombre serait un « phénomène universellement connu », quand elle constatait elle-même que l’invention avait pour objet de mettre en oeuvre cet effet optique et intervenait donc dans le domaine technique de l’optique, la Cour d’appel, qui a confondu définition de l’homme du métier et appréciation de l’évidence de l’invention, a violé les articles L. 614-12 du Code de la propriété intellectuelle et 56 et 138 de la Convention sur le brevet européen ;

ALORS, DE TROISIEME PART, QUE le gaufrage à « effet d’ombre », selon le brevet européen n° 1 324 877, est défini comme un gaufrage « où les signes estampés dans l’arrière-fond satiné présentent, selon l’angle de vue de l’observateur et/ou la direction et le genre de la source de lumière, une intensité variable et un aspect similaire à une ombre » (cf. brevet BOEGLI, p. 4, §. 3) ; qu’en retenant que l’« effet d’ombre » mis en oeuvre dans le brevet européen n° 1 324 877 consisterait à « savoir que la taille d’une ombre, donc sa visibilité, dépend de la hauteur du relief qui la crée mais aussi de l’angle d’incidence de la lumière qui la frappe », quand l’« effet d’ombre » visé par ce brevet n’était pas le simple effet de la réflexion de la lumière sur un objet, mais l’obtention d’un effet d’optique particulier permettant de modifier l’aspect d’un signe gaufré selon l’angle de vue de l’observateur, le genre ou la position de la source de la lumière, et de lui donner un aspect similaire à celui d’une ombre, la Cour d’appel a dénaturé le brevet européen n° 1 324 877, en violation de l’article 1134 du Code civil ;

ALORS, DE QUATRIEME PART, EN TOUTE HYPOTHESE, QU’en se bornant à affirmer que l’effet d’ombre serait un « phénomène universellement connu » et que « la caractéristique d’un motif de faible relief qui change d’aspect selon l’angle de vue de l’observateur et/ou le genre et/ou la position de la source de lumière est bien connue et ne peut être considérée comme une découverte témoignant d’une activité inventive », sans constater que la production de l’effet d’ombre décrit dans le brevet européen n° 1 324 877 sur une feuille d’emballage, à partir d’un dispositif pour le gaufrage et le satinage, serait à la portée de tout technicien, la Cour d’appel a statué par des motifs inopérants, en violation des articles L. 614-12 du Code de la propriété intellectuelle et 56 et 138 de la Convention sur le brevet européen ;

ALORS, DE CINQUIEME PART, QU’en se bornant à affirmer, sans autre explication ni démonstration, que l’homme du métier pouvait, à partir de l’antériorité NIELSEN, qui enseigne uniquement le moyen d’obtenir des « motifs particuliers » en jouant sur la hauteur et la forme des dents, savoir « qu’en réduisant la hauteur des dents ou saillies, il obtiendrait un motif d’un relief moins marqué, lequel se dévoilera avec une intensité différente à l’observateur selon l’angle d’incidence de la lumière », la Cour d’appel a privé sa décision de motifs, en violation de l’article 455 du Code de procédure civile ;

ALORS, ENFIN, ET EN TOUT ETAT DE CAUSE, QUE pour être capable de déduire d’un document, qui se borne à enseigner le moyen d’obtenir des « motifs particuliers » en jouant sur la hauteur et la forme des dents, qu’« en réduisant la hauteur des dents ou saillies, il obtiendrait un motif d’un relief moins marqué, lequel se dévoilera avec une intensité différente à l’observateur à l’observateur selon l’angle d’incidence de la lumière », un technicien doit, à tout le moins, nécessairement mettre en oeuvre des connaissances relevant du domaine optique ; qu’en prêtant ainsi à l’homme du métier la capacité de mettre en oeuvre de telles connaissances, tout en retenant que l’homme du métier ne serait pas un ingénieur possédant des connaissances en optique, la Cour d’appel a violé les articles L. 614-12 du Code de la propriété intellectuelle et 56 et 138 de la Convention sur le brevet européen. »