La nouvelle procédure INPI : RAPO ou Chambre de recours ?

A la seule lecture du titre du questionnaire diffusé par l’INPI «  Mise en œuvre de la nouvelle procédure de recours administratif devant l’INPI », de nombreux praticiens s’attendent à la mise en place prochaine de chambres de recours analogues à celles de l’OEB ou  de l’EUIPO, puisqu’il y est question du maintien ou non de l’effet dévolutif du recours devant la Cour d’appel en matière de nullité et de déchéance de marque ( voir la question IV).  Le questionnaire de l’INPI

Pour les industriels déposants des brevets, la question du recours contre les décisions de l’INPI est hautement sensible avec l’examen par l’INPI de l’activité inventive comme nouvelle condition de rejet de la demande de brevet depuis la loi PACTE.

Mais une procédure administrative RAPO est différente d’une procédure devant une chambre de recours comme les praticiens et les titulaires de droit la connaissent devant l’OEB ou l’EUIPO.

  • RAPO comme son déplié l’indique, recours administratif préalable obligatoire, n’est pas une procédure contentieuse, il en constitue une condition préalable

Le RAPO est ancien, le Conseil d’Etat en 2008 en cite des exemples qui remontent à 1924, souligne la multiplicité des applications, son hétérogénéité et ses bienfaits. L’étude de 2008 du Conseil d’Etat

Le RAPO est un réexamen de la position de l’administration, « les questions ainsi examinées ne sont pas essentiellement d’ordre juridique mais davantage affaire d’opportunité, d’équité ou de ses commun ». (En ce sens,  « Les recours administratifs préalables et obligatoires en droit public français alternative au juge ou voie sans issue », 2009, cet article cite notamment l’article 13 de la loi aujourd’hui abrogée du 31 décembre 1987 « Des décrets en Conseil d’Etat déterminent dans quelles conditions les litiges contractuels concernant l’Etat, les collectivités territoriales et leurs établissements publics, ainsi que les actions mettant en jeu leur responsabilité extracontractuelle sont soumis, avant toute instance arbitrale ou contentieuse, à une procédure préalable soit de recours administratif, soit de conciliation » ). Pour la distinction entre recours administratif préalable obligatoire (RAPO) et saisine du juge, par exemple Conseil d’Etat du 21 mars 2007, l’arrêt.

Au questionnaire de l’INPI, ce recours administratif préalable obligatoire est envisagé non seulement quand seul le déposant/titulaire du droit  souhaite que l’administration revienne sur sa décision, mais également dans les litiges entre des parties (demande de nullité, opposition, déchéance pour défaut d’usage de marque, etc).

Or, le Conseil d’Etat dans son avis, certes aujourd’hui ancien (2008),  y était réticent (pages 48 et 49).

Dans la pratique, il est rare en effet que la décision initiale susceptible de recours administratif préalable préjudicie aux tiers , s’agissant le plus souvent de décisions individuelles de refus. En revanche, la décision prise sur recours, lorsqu’elle est favorable au demandeur, est susceptible de remettre en cause les droits des tiers, notamment les droits nés de la décision initiale. C’est donc, dans les hypothèses envisagées, la décision positive prise à la suite du recours administratif préalable obligatoire qui pourrait générer du contentieux avec les tiers.

…….

Une ouverture trop large des recours administratifs préalables obligatoires aux tiers pourrait également dénaturer la logique du système. La mise en place d’une procédure de recours administratif préalable obligatoire doit permettre à l’administration, dans certaines matières, de réexaminer sa décision en intégrant, le cas échéant, des considérations d’opportunité. Or, la prise en compte de telles considérations, si elle est possible entre deux parties, devient singulièrement_ plus complexe si l’on intègre les tiers.

Le Conseil d’Etat ne semblait favorable au recours administratif préalable obligatoire que pour les contentieux de masse et pour lesquels l’expérience avait montré que ce réexamen de la position de l’administration conduisait à mettre un terme à la réclamation d’un seule partie avec un très haut taux de réussite ( fiscal, permis de conduire,  etc ).

Devant l’EUIPO, un réexamen de la position de l’Office est possible mais en étant intégré dans la procédure de recours devant la Chambre (article 69 du règlement 2017/1001).

Article 69

Révision des décisions dans des cas ex parte

 Si la partie qui a introduit le recours est la seule partie à la procédure et si l’instance dont la décision est attaquée considère le recours comme recevable et fondé, l’instance doit y faire droit.

S’il n’est pas fait droit au recours dans un délai d’un mois à compter de la réception du mémoire exposant les motifs, le recours doit être immédiatement déféré à la chambre de recours, sans avis sur le fond.

Y-a-t-il devant l’INPI un contentieux de masse ?

– Après un an de pratique d’actions en nullité et en déchéance de marque, combien de décisions de l’INPI ont-elles  fait l’objet d’un recours devant la cour d’appel ? (L’examen des 30 premières décisions avait montré qu’il n’y avait qu’un seul titulaire qui avait apporté des éléments pour s’opposer à la demande, l’article et son résumé)

– Ou bien ce contentieux de masse ne concerne-t-il que des situations qui n’opposent à l’INPI que le déposant/titulaire du droit  ?

  • Ce recours rend plus complexe la procédure contentieuse

Comme son intitulé l’indique, ce recours deviendra un précédent obligatoire avant l’engagement de la procédure contentieuse.

L’ajout d’une condition supplémentaire est toujours une source de complexification et de difficultés ( par exemple, Conseil d’Etat 16 juin 2021, l’arrêt).

  • Le RAPO parce qu’il n’est qu’un réexamen de la position de l’administration (ici l’INPI par son Directeur), n’est en rien comparable avec un recours devant les chambres de recours de l’OEB et de l’EUIPO dont les décisions reposent sur un principe d’indépendance

A la 1ère question du document de l’INPI, la mise en œuvre du RAPO est précisée :

Dans la nouvelle procédure envisagée, le recours serait traité par une entité de l’INPI distincte de l’entité ayant émis la décision contestée. La mise en place d’une telle procédure, soit une séparation stricte entre l’instance ayant émis la décision contestée et l’instance en charge du recours, vous paraît-elle utile ?

Une  séparation stricte n’a rien à voir avec le critère de l’indépendance attendue aujourd’hui.

Par exemple, pour les Chambres de recours à l’OEB, ce principe est inscrit dans  la Convention.

Article 23
Indépendance des membres des chambres

(1)

Les membres de la Grande Chambre de recours et des chambres de recours sont nommés pour une période de cinq ans et ne peuvent être relevés de leurs fonctions pendant cette période, sauf pour motifs graves et si le Conseil d’administration, sur proposition de la Grande Chambre de recours, prend une décision à cet effet. Nonobstant les dispositions de la première phrase, le mandat des membres des chambres de recours prend fin en cas de démission ou de mise à la retraite conformément au statut des fonctionnaires de l’Office européen des brevets.

(2)

Les membres des chambres ne peuvent être membres de la section de dépôt, des divisions d’examen, des divisions d’opposition ou de la division juridique.

(3)

Dans leurs décisions, les membres des chambres ne sont liés par aucune instruction et ne doivent se conformer qu’aux seules dispositions de la présente convention.

(4)

Les règlements de procédure des chambres de recours et de la Grande Chambre de recours sont arrêtés conformément au règlement d’exécution. Ils sont soumis à l’approbation du Conseil d’administration.

A l’EUIPO, de nombreux articles des règlements définissent le contenu du principe d’indépendance

Au règlement 2017/1001:

– le principe de légalité des recours est posé aux articles 160 à 164,

– et l’article 166 comporte de nombreuses dispositions dont notamment:

Article 166

Indépendance des membres des chambres de recours

  1. Le président des chambres de recours et le président de chaque chambre sont nommés pour une période de cinq ans, conformément à la procédure prévue à l’article 158 pour la nomination du directeur exécutif. Ils ne sont pas démis de leurs fonctions pendant la période de leur mandat sauf pour motifs graves et si la Cour de justice, saisie par l’institution qui les a nommés, prend une décision en ce sens.

Etc