Saisie contrefaçon : la durée de la saisie soumise au contrôle de proportionnalité

Rarement, un même contentieux de contrefaçon de brevet a suscité autant de décisions intéressantes pour l’avocat. N’en sont mentionnées ici que quelques-unes.

Les premiers débats en rétraction de l’ordonnance autorisant la saisie contrefaçon questionnaient l’impartialité des conseils en propriété industrielle. La Cour de cassation  s’est prononcée le 27 mars 2019, c’est là-bas,  pourvoi où étaient intervenues la Compagne Nationale des Conseils en Propriété Industrielle et l’Association des Conseils en Propriété Industrielle, c’est déjà en dire l’importance, et en écartant  la demande de question préjudicielle en l’absence de ….« doute raisonnable ».

Source : site du Ministère de la justice : https://www.cours-appel.justice.fr/paris/histoire-du-palais

Le débat sur la validité du procès-verbal a repris. Le Tribunal  l’a annulé. La Cour de Paris se prononce le 29 juin 2022. Ci-dessous quelques extraits de cette décision.

 Le contrôle de la proportionnalité entre les droits du titulaire du brevet et ceux de la partie saisie

 

La cour rappelle qu’une saisie contrefaçon étant une mesure probatoire exorbitante du droit commun, qui permet des investigations exceptionnellement contraignantes pour la partie qui en est l’objet, les pouvoirs dévolus à l’huissier de justice sont strictement délimités par l’ordonnance autorisant la mesure. Dans ce cadre, il incombe au juge d’effectuer un contrôle de proportionnalité entre les droits du requérant et ceux de la partie saisie.

 

Une saisie contrefaçon pendant 17 heures

Sur ce, il ressort des mentions figurant sur le procès-verbal de saisie contrefaçon que l’huissier de justice, arrivé sur les lieux à 8h05, a débuté ses opérations le 16 juin 2017 à 9h30 au sein des locaux de la société M…….  pour les clôturer à 2h15 du matin le 17 juin 2017, soit durant près de dix-sept heures.

« Si besoin est » : l’ordonnance avait prévu la poursuite des opérations après les heures d’ouvertures

 
Dans l’ordonnance autorisant la mesure, la cour constate que le juge des requêtes a précisé «Disons qu’il sera procédé aux opérations de saisie contrefaçon pendant les heures d’ouverture des locaux, et même après, si besoin est» et a autorisé l’huissier de justice «à suspendre ses opérations, en particulier de description, afin de les reprendre en son étude, si besoin est en présence d’un représentant de la société saisie».

En conséquence si, effectivement, le juge des requêtes a autorisé l’huissier de justice à procéder à ses opérations après les heures d’ouverture des locaux, il a cependant précisé « si besoin est» et l’a également spécialement autorisé à les suspendre.

Or, il ressort des mentions portées sur le procès-verbal que les opérations de démonstration sur les machines se sont achevées à 18h40 et que les derniers documents ont été remis à l’huissier de justice à 19h30, Mme [Y], directrice juridique, répondant à ce dernier à 21h30, que compte tenu de l’heure tardive et du départ de ses collaborateurs, il ne lui est pas possible de fournir les informations sollicitées relatives notamment au nombre de machines vendues en France ou à leur prix de vente, ces documents devant être transmis ultérieurement, sous réserve du secret d’affaire. Puis, l’huissier de justice mentionne avoir édité son procès-verbal à 22h20 pour le lire aux représentants de la société M…….  et leur remettre une copie à 2h10 du matin.

Rien ne justifiait la poursuite si tardive des opérations

 

Ainsi, à aucun moment, et malgré la durée objectivement longue de ces opérations et leur prolongement à une heure plus que tardive, il n’est justifié de leur nécessaire poursuite.

À cet égard, la cour constate qu’il n’est démontré aucune résistance avérée ou obstruction au bon déroulement des opérations de la part de la société M……  justifiant une telle durée puisque les opérations de constat sur les machines ont pu débuter à partir de 10h50, que les très nombreux documents sollicités ont été remis en plusieurs fois à compter de 15h24 et que la société saisie a informé l’huissier de la mise à disposition d’un opérateur pour manipuler les machines à 16h54, alors qu’aucun prestataire extérieur ne s’était présenté suite à la demande de l’officier ministériel.

 

Le contrôle de proportionnalité sur la durée de la saisie par  le juge même si la partie saisie n’a pas demandé la suspension des opérations pour leur reprise le lendemain

 

En outre, comme l’ont justement relevé les premiers juges, dès lors qu‘il lui était possible, au vu de la durée de la saisie et de l’heure tardive, de suspendre les opérations pour les reprendre le lendemain, sans attendre une demande la partie saisie et sans qu’un risque de dépérissement des preuves éventuelles soit raisonnablement encouru, et alors même qu’il a constaté que son interlocutrice n’était plus en mesure de lui fournir les informations sollicitées, compte tenu de l’heure tardive et du départ de ses collaborateurs, rien ne justifie que les opérations ainsi entamées à 9h30, le 16 juin, se soient poursuivies jusqu’à 2h15 le 17 juin.

Rien ne justifie en particulier que le procès-verbal de constat ait été rédigé et soumis à la relecture du saisi après 22h20, générant une contrainte disproportionnée pour les représentants de la société M……  encore présents, de nature en outre à entraver les droits de la défense da la société saisie et, ce alors qu’aucune disposition légale n’imposait de lui remettre, à peine de nullité, une copie du procès-verbal immédiatement à l’issue des opérations, la société B…… ne pouvant soutenir de bonne foi avoir fait respecter les droits de son adversaire en lui autorisant une relecture à cette heure aussi tardive de la nuit et après des opérations aussi longues.

En procédant de la sorte, dans le cadre d’investigations exceptionnellement contraignantes pour la partie qui en est l’objet, il convient de considérer que l’huissier de justice n’a pas strictement respecté les pouvoirs dévolus tels que délimités par l’ordonnance autorisant la mesure, en portant une atteinte disproportionnée aux droits du saisi, justifiant ainsi le prononcé de la nullité de l’ensemble des opérations de saisie contrefaçon au regard de leur caractère indissociable.

C’est en conséquence, à juste titre, que les premiers juges ont prononcé la nullité de l’ensemble du procès-verbal de saisie contrefaçon du 17 juin 2017 et ont, en conséquence, ordonné la destruction dudit procès-verbal ainsi que la restitution des éléments saisis et ont fait interdiction à la société B……  d’utiliser ou de communiquer, quelle que soit la procédure en France ou à l’étranger, le procès-verbal de saisie contrefaçon des 16-17 juin 2017, ainsi que l’ensemble des éléments saisis.

Le jugement querellé est en conséquence confirmé de ces chefs.