Système ou méthode de survie économique exclue de la brevetabilité

L’article L611-10 du CPI exclut de la brevetabilité les  » …..méthodes dans l’exercice d’activités intellectuelles, en matière de jeu ou dans le domaine des activités économiques, ainsi que les programmes d’ordinateurs ». 

Cette exclusion peut-elle être contournée par l’emploi du terme système au lieu de celui de méthode ?méthode sosu ensemble de données

Illustration avec cette revendication 1ère qui a donné lieu à l’arrêt du 26 février 2016.

« Système de transport de marchandises par véhicules circulant sur route, comprenant un poste central de traitement, des postes de saisie affréteurs, des postes de saisie transporteurs et des moyens de communication entre le poste central de traitement et d’une part les postes de saisie affréteurs et d’autre part les postes de saisie transporteurs afin de permettre aux transporteurs d’accéder à des offres des affréteurs, caractérisé en ce que le poste central de traitement comprend :
Au moins trois registres correspondant respectivement à des données relatives à la nature du chargement, au temps et à l’espace, chacun de ces trois registres étant divisé en un sous registre dédié aux affréteurs et destiné à recevoir des données relatives respectivement à la capacité de chargement requise, à une cible de temps pour le chargement et la livraison et au lieu du chargement et du déchargement et en un sous registre dédié aux transporteurs et destiné à recevoir des données relatives respectivement à la capacité de chargement offerte, à un horaire prévisionnel de temps pour le déplacement, à une ville de départ et à une ville de destination ;
Une unité centrale qui pilote ces trois registres, qui comparent les capacités d’un véhicule en termes de capacités spatiales et temporelles, ainsi que de charge et d’encombrement, avec les contraintes spatiales et temporelles, ainsi que de charge et d’encombrement, définies par une offre de fret associée à un poste de saisie affréteur, et qui suit la progression de chaque véhicule associé au poste de saisie transporteur et qui compare la progression de chaque véhicule dans le temps et dans l’espace avec des cibles de temps et d’espace définies à partir d’un poste de saisie affréteur »

Cette demande de brevet se propose « d’optimiser la charge des véhicules de transport de marchandises, non seulement sur le trajet aller, mais également sur leur trajet retour » car le rechargement constitue un « un enjeu crucial de rentabilité et parfois même de survie économique ».

  • Brève chronologie

14 mai 2012 : dépôt de la demande de brevet: « système et procédé de transport de marchandises par véhicules circulant sur route »;

17 avril 2013 : notification par l’INPI de « l’impossibilité d’établir un rapport de Recherche » ;

10 juin 2013 : établissement de nouvelles revendications;

17 décembre 2014 : notification de la décision de rejet de la demande de brevet;

C’est le recours contre cette décision du 17 décembre dont est saisie la Cour de Paris.

26 février 2016 : rejet du recours par la Cour de Paris.

  • Revendication de système ou de méthode ?

Après le rappel des dispositions de l’article L611-10, la Cour retient :

Considérant que ces dispositions posent comme condition de la brevetabilité l’existence d’une invention et excluent un certain nombre d’activités humaines comme les plans, principes et méthodes dans l’exercice d’activités intellectuelles dans le domaine des activités économiques, ainsi que les programmes d’ordinateurs ; que pour autant, si cette exclusion vise les « méthodes », il ne s’ensuit pas que la seule qualification des revendications sous le terme de système et de procédés emporte brevetabilité ; qu’en effet, l’article R612-12 du CPI dispose que la description comprend : « 3° exposé de l’invention telle que caractérisée dans les revendications permettant la compréhension du problème technique ainsi que la solution qui lui est apportée » et l’article R612-16 du CPI que les revendications « définissent l’objet de la protection demandée en indiquant les caractéristiques techniques de l’invention ».

Considérant, dès lors, que, si l’article L610-10 du CPI ne définit pas positivement une notion d’invention, il la pose comme une exigence, les deux articles précités la précisant ; qu’il s’ensuit que le législateur ne s’est pas attaché à l’intitulé des revendications ; que l’esprit des textes est d’exclure de la brevetabilité les solutions qui ne sont pas d’ordre technique mais commercial ; qu’en conséquence, il relève des attributions du Directeur Général de l’INPI d’apprécier l’existence d’une invention sans qu’il soit tenu par le vocable utilisé dans les revendications ; qu’en l’espèce, il a procédé à cette analyse revendication par revendication pour finalement conclure qu’il était en présence d’une méthode économique exclue de la brevetabilité ; qu’en procédant de la sorte il n’a pas dénaturé les revendications ; que s’il a commis une erreur , il appartient à la Cour de l’apprécier dans le cadre du recours dont elle est saisie.

  • L’analyse de cette revendication 1ère par la Cour

Considérant que le « système » revendiqué est donc caractérisé par le fait qu’il comprend des ensembles et sous-ensembles de données d’ordre économique relatives aux livraisons à effectuer pour les affréteurs (nature, lieu et date de la livraison) et aux offres de transport (capacité et localisation du véhicule) ainsi qu’une unité centrale qui compare ces données.

Considérant que les « registres » de données ne sont pas caractérisés sur un plan technique (format, compression, etc) mais uniquement par la nature (économique) des données qu’ils contiennent ; que le simple fait que ces données soient regroupées en trois ensembles (nature du chargement / temps / espace) de deux sous-ensembles (affréteurs / transporteurs) relève d’une simple organisation de l’information qui ne revêt en elle-même aucun caractère technique ; qu’aucune indication technique n’est fournie sur l’«unité centrale», qui est seulement caractérisée par le fait qu’elle effectue des comparaisons, c’est-à-dire des opérations d’ordre intellectuel consistant à mettre les données en relation les unes avec les autres.

Considérant que, de plus, le problème posé n’est pas résolu par ce traitement de données puisque le transporteur est alors seulement placé en face de choix possibles de nature à optimiser sa rentabilité.

Considérant que la solution repose ainsi sur un système informatique qui en permet l’automatisation ; qu’un tel système est utilisé de façon courante dans les activités humaines notamment économiques et ne revêt aucune configuration particulière ; qu’il n’est pas caractérisé sur un plan technique et n’est défini que par référence aux opérations de recueil et comparaison de données qu’il permet d’effectuer ; qu’il s’analyse donc en une méthode économique exclue de la brevetabilité par l’article L. 611-10 2) du CPI, le simple fait qu’elle soit mise en ‘uvre par ordinateur ou revendiquée sous forme de dispositif informatique générique ne permettant pas d’en changer la nature.

Considérant que la Cour estime fondée la décision de rejet de la demande de brevetabilité.