Un accord de confidentialité permet-il d’empêcher le dépôt d’un brevet par son partenaire ?Illustration avec l’arrêt de la Cour de Paris du 22 janvier 2014.
7 mai 2003 : deux sociétés L ….. et P ……. signent un accord de confidentialité pour une durée de 10 ans. Dans ce cadre à partir de mai 2003 P……. effectue pour le compte de L….. diverses études de faisabilité pour la synthèse du bleu de méthylène (dites projets BOT 679 et BOT 704) en fournissant les matières premières nécessaires ainsi que cela résulte des factures établies entre le 22 mai 2003 et le 16 juin 2004 ;
12 juillet 2006 : P ….. dépose une demande de brevet d’invention intitulée ‘procédé de purification de composés diaminophénothiazinium‘qui a été délivré le 11 février 2011 , et un PCT.
Devant la Cour de Paris, L …… revendique de la propriété des brevets.
- Que dit le contrat ?
Article 3 : les parties s’engagent à garder strictement confidentielles les informations échangées au cours de cette collaboration et notamment ‘à n’utiliser les informations que dans le strict but du projet, objet de la collaboration entre P….. et L…..;
Article 5 : chacune des parties s’engage à ne déposer, ni faire déposer dans aucun pays aucune demande nouvelle de droit de propriété intellectuelle et industrielle, notamment de brevet et/ou de modèle, portant sur les informations reçues de la partie divulgatrice ;
Article 4 prévoit des exceptions à cette obligation de confidentialité : lorsque les informations étaient, sont ou seront dans le domaine public au moment de leur divulgation par la partie divulgatrice, et ce, autrement que par infraction au présent accord‘ et lorsqu’elles ‘sont développées par la partie recevant les informations de manière indépendante et en toute bonne foi, et indépendamment des informations transmises par la partie divulgatrice;
- Ce qu’en dit la Cour :
Considérant qu’il appartient à L…… de rapporter la preuve que ces demandes de brevet reposent sur le détournement, en infraction aux obligations contractuelles résultant de l’accord de confidentialité du 07 mai 2003, des informations transmises à P……entre mai 2004 et octobre 2008 (dont la liste est récapitulée en pièce 17 du dossier de L……) ;
La lecture du rapport d’un expert:
Considérant que si L….. soutient que ces informations sont le résultat de ses travaux et de son savoir-faire (méthodes de contrôle et d’analyses validées par ses soins, résultats de tests et autres études d’expertise), il ressort du rapport d’expertise déposé le 15 juin 2010 par M. H ……, désigné par le jugement avant dire droit du tribunal de commerce de Marseille en date du 21 juillet 2009, et dont un exemplaire a été régulièrement versé aux débats dans le cadre de la présente instance, que la plupart des méthodes d’analyses relatives aux spécifications de la pharmacopée européenne du bleu de méthylène étaient des méthodes de la pharmacopée européenne et n’avaient donc pas à être validées par L….. et que seules celles relatives aux caractéristiques (améliorées par le nouveau procédé de synthèse) du bleu de méthylène devaient être mises au point et/ou validées ;
Considérant que l’expert indique ainsi que le 27 septembre 2004 L……. a transmis par courriel les détails de la méthode d’analyse utilisée pour la détermination des impuretés mais n’a pas apporté la preuve de sa validation ; que les premiers juges ont estimé que cette méthode d’analyse résultait du savoir faire propre à L……… et ne relevait pas du domaine public en se fondant sur un second courriel en date du 27 octobre 2004 précisant ‘méthode non validée en essai limité’ ;
Considérant que L….. en conclut que cette méthode d’analyse a été utilisée par P….. dans son activité inventive en violation de l’accord de confidentialité ;
Mais considérant qu’il ressort des pièces versées aux débats (en particulier des annexes 2 et 3 de la pièce 47 du dossier de P……) que la méthode d’analyse transmise le 27 septembre 2004 est une méthode HPLC chromatographique décrite par la pharmacopée européenne (page 392 du volume 16, n° 3 de juillet 2004) et n’avait donc pas à être validée par L…; qu’en revanche le courriel du 27 octobre 2004 concerne une méthode d’analyse tout à fait différente par ICP spectrométrique par torche à plasma ;
Considérant que l’expert indique encore que si le 16 juin 2005 L……….. a transmis la méthode d’analyse des métaux, permettant de doser ceux-ci avec la précision requise par la pharmacopée européenne du bleu de méthylène, cette méthode déjà validée et reconnue de la pharmacopée européenne n’avait pas davantage à être validée par cette société ;
Considérant qu’il en résulte que L…… ne rapporte pas la preuve que P………. aurait violé l’accord de confidentialité du 07 mai 2003 en utilisant, pour le dépôt des brevets litigieux, des informations relevant du savoir faire de cette société ;
- La conclusion de la Cour qui soulève quelques interrogations
Considérant dès lors que, par ces motifs se substituant à ceux contraires des premiers juges, le jugement entrepris sera confirmé en ce qu’il a débouté L………. de ses demandes en revendication de copropriété des brevets litigieux ; qu’y ajoutant cette société sera également déboutée d’une part de sa demande d’expertise aux fins ‘d’avoir accès aux informations intégrales du brevet’ (sic) et d’autre part de ses demandes subsidiaires en dommages et intérêts du fait de l’exploitation des brevets litigieux, telles que présentées devant la cour ;