La preuve de la contrefaçon est-elle possible par l’article 145 ?

Différents articles du Code de la propriété intellectuelle prévoient des dispositions applicables à la preuve de la contrefaçon. En matière de brevet, comme l’article L615-5 débute par la phrase « La contrefaçon peut être prouvée par tous moyens », l’expertise de l’article 145 serait-elle toujours possible ? Cette question est à nouveau soumise à la Cour d’appel de Paris. L’arrêt est du 9 novembre 2017.

Les faits et le rappel des décisions antérieures ( l’appel porte sur la décision du 9 février 2017, mais l‘arrêt cite aussi l’ordonnance du 6 novembre 2014)

S ……., une société,  …  reproche à B….. une autre société, par l’exploitation du produit T ….  de porter atteinte à son brevet EP.

S  obtient par une ordonnance rendue sur requête le 16 janvier 2014 la désignation d’un huissier de justice ayant pour mission de saisir des documents dans les locaux de B……

S….. assigne B….. en référé sur le fondement de l’article L 615-3 du code de la propriété intellectuelle afin qu’il soit fait interdiction à cette dernière de poursuivre la production et la promotion de T …… ainsi que de tout autre produit en développement nécessaire à l’exploitation de T …….

6 novembre 2014 : ordonnance de rejet

La décision entreprise

20 septembre 2016 :  S … assigne B …… devant le juge des référés sur le fondement de l’article 145 du code de procédure civile afin d’obtenir la désignation d’un expert judiciaire ayant la mission suivante :

– se rendre sur le site de B…….  ou dans tout autre établissement de cette dernière et dans tous autres lieux dont la visite sera utile à l’expertise ;

– se faire remettre, par B…….   le produit T…. argué de contrefaçon du brevet EP ….. et procéder à la description détaillée dudit procédé ;

– se faire remettre, par B……. , tous documents, descriptifs, photographies, brochures, mode d’emploi, catalogues, ou publications relatifs au procédé dont pourrait résulter la preuve de la contrefaçon ;

– si nécessaire, procéder ou faire procéder au démontage, à tout essai, à toute mise en service, à toute vérification, à toute investigation utile pour la description du produit T….. .

9 février 2017 : le juge des référés rejette cette demande.

Appel par S….. , la Cour d’appel de Paris rend sa décision le 9 novembre 2017.

Aux termes de l’article 145 du code de procédure civile, s’il existe un motif légitime de conserver ou d’établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d’un litige, les mesures d’instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées à la demande de tout intéressé sur requête ou en référé.

S….. expose que sa demande d’expertise repose sur un motif légitime en ce qu’il existe un faisceau d’indices que B …. et [ une autre partie non citée ici] , en réalisant le produit T …., se sont rendus coupables de contrefaçon de [ le produit de S….] ayant fait l’objet d’un brevet français puis du brevet européen EP.

Cependant, la mission qu’elle demande à la cour de confier à un expert judiciaire consiste à se faire remettre le produit T… , à l’analyser et à le décrire, au besoin en le démontant et en procédant à toute investigation utile, et à le comparer avec le dispositif [ de S…. ].

L’article L. 615-5 du code de la propriété intellectuelle dispose :

‘La contrefaçon peut être prouvée par tous moyens.

A cet effet, toute personne ayant qualité pour agir en contrefaçon est en droit de faire procéder en tout lieu et par tous huissiers, le cas échéant assistés d’experts désignés par le demandeur, en vertu d’une ordonnance rendue sur requête par la juridiction civile compétente, soit à la description détaillée, avec ou sans prélèvement d’échantillons, soit à la saisie réelle des produits ou procédés prétendus contrefaisants ainsi que de tout document s’y rapportant. L’ordonnance peut autoriser la saisie réelle de tout document se rapportant aux produits ou procédés prétendus contrefaisants en l’absence de ces derniers.

[…]

Elle peut subordonner l’exécution des mesures qu’elle ordonne à la constitution par le demandeur de garanties destinées à assurer l’indemnisation éventuelle du défendeur si l’action en contrefaçon est ultérieurement jugée non fondée ou la saisie annulée.

A défaut pour le demandeur de s’être pourvu au fond, par la voie civile ou pénale, dans un délai fixé par voie réglementaire, l’intégralité de la saisie, y compris la description, est annulée à la demande du saisi, sans que celui-ci ait à motiver sa demande et sans préjudice des dommages et intérêts qui peuvent être réclamés.’

Ainsi que la partie intimée l’a fait valoir, la mesure réclamée par l’appelante correspond à celle prévue par le texte spécial susvisé, destiné à l’administration de la preuve recherchée.

En outre, ce texte prévoit la possibilité pour le juge de subordonner l’exécution de ladite mesure à une garantie en faveur du défendeur faisant l’objet de la saisie, destinées à assurer son indemnisation si l’action en contrefaçon est ultérieurement jugée non fondée.

Il impose également au demandeur de saisir le juge du fond dans un délai fixé par l’article615-3 à vingt jours ouvrables ou à trente et un jours civils si ce délai est plus long, à compter du jour où est intervenue la saisie ou la description.

S…..  n’oppose aucun argument à celui de B …..  selon lequel son action devant le juge des référés fondée sur l’article 145 du code de procédure civile tend à contourner les dispositions spéciales de l’article L 615-5, précité.

Elle ne justifie pas ni même n’expose en quoi la mesure qu’elle réclame s’en distingue et relève d’une expertise.

Force est de constater, à cet égard, que la mission qu’elle entend voir confier à un expert judiciaire se limite à une description du produit T …. et à la comparaison de celui-ci avec le dispositif [ celui de S … ] sans aucune investigation technique relativement à l’une de ses composantes au regard des revendications de son brevet nécessitant de recourir à la compétence d’un homme de l’art.

S ….  ne démontre pas, par conséquent, avoir un motif légitime à voir ordonner sur le fondement de l’article 145 une mesure d’instruction dont le contenu correspond, en réalité, à celle prévue par un texte spécialement applicable.

La cour confirme l’ordonnance de rejet.