Biodiversité et brevet au Sénat : exclusion de la brevetabilité et limitation de la portée du brevet

Le projet pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages est renvoyé en 3ème lecture devant l’Assemblée nationale.projet de loi sur la reconquête de la biodiversité, discussion au sénat

Le 11 mai 2016, le Sénat a débattu de la modification du Code de la propriété intellectuelle à propos d’une nouvelle exclusion à la brevetabilité et de la limitation de la portée du brevet. Deux articles sont en cause.

  • ARTICLE 4 BIS

M. Joël Labbé . – Je veux dire avec force la satisfaction du groupe écologiste d’avoir réussi à encadrer la non-brevetabilité du vivant en première lecture.

La brevetabilité du vivant, que revendiquent les firmes, contribue à la disparition des espèces. En cela, elle menace la santé humaine et la sécurité alimentaire.

Nous ne sommes pas ici pour défendre l’intérêt des firmes, mais un intérêt public : notre patrimoine naturel mondial. Nous réclamerons donc le retour à notre texte, précisé par l’Assemblée nationale.

La firme Syngenta, grand producteur de néonicotinoïdes, a obtenu auprès de l’Office européen des brevets un brevet sur un trait de plant sauvage de tomates d’Amérique du Sud. Cela lui permet de s’approprier plants de tomates, semences et fruits appartenant à de multiples variétés en protégeant un élément qui les constituent et une information génétique qu’ils contiennent.

Mme la présidente. – Amendement n°43, présenté par Mme Didier et les membres du groupe communiste républicain et citoyen.

Alinéa 2

Compléter cet alinéa par les mots :

, y compris les éléments qui constituent ces produits et les informations génétiques qu’ils contiennent

Mme Évelyne Didier. – En première lecture, le Sénat a interdit les brevets sur des plantes et animaux issus de procédés essentiellement biologiques. Nous avons tous reconnu l’importance des certificats d’obtention végétale et les dangers du brevet. Cet équilibre doit être préservé, il repose sur la conception de la propriété intellectuelle que la France porte depuis une dizaine d’années.

M. Labbé a évoqué les tomates qui comportent naturellement des flavonoïdes, des antioxydants très utiles que certains cherchent à s’approprier.

Il faut faire la part entre l’invention et la découverte. Ne pas adopter cet amendement, c’est autoriser des entreprises à transformer la nature en un bien privé. Votez-le, si vous vous opposez à une telle appropriation de la nature !

Mme la présidente. – Amendement identique n°54, présenté par M. Labbé et les membres du groupe écologiste.

M. Joël Labbé. – Il est défendu.

Mme la présidente. – Amendement identique n°178, présenté par MM. Mézard, Amiel, Arnell, Bertrand, Castelli, Collin, Collombat, Esnol, Fortassin, Guérini et Hue, Mmes Jouve, Laborde et Malherbe et MM. Requier et Vall.

M. Jean-Claude Requier. – L’article L. 611-19 du code de la propriété intellectuelle exclut les procédés essentiellement biologiques pour l’obtention des végétaux et des animaux de la brevetabilité. Vu le contournement par les nouvelles techniques de modification génétique, notre amendement étend l’exclusion de la brevetabilité aux produits qui sont issus de ces procédés, à leurs parties et leurs composantes génétiques.

M. Jérôme Bignon, rapporteur. – Nous avons volontairement supprimé la fin de cet article, trop large dans son champ d’application, puisque cela reviendrait à interdire toute brevetabilité d’une plante créée génétiquement. L’Inpi y est opposé au nom de l’industrie ensemencière française.

Mme Barbara Pompili, secrétaire d’État. – Le Gouvernement veut limiter le champ de la brevetabilité tout en ouvrant l’accès au plus grand nombre de plants : sagesse.

M. François Grosdidier. – Je soutiens ces amendements qui nous font revenir à la position initiale du Sénat. N’allons pas breveter ce qui ne relève pas de la recherche, ce serait encourager l’accaparement du vivant par un petit nombre d’entreprises. La valeur ajoutée des producteurs, déjà accaparée en aval par les distributeurs, pourrait être accaparée en amont. C’est inacceptable. Je voterai ces amendements, au nom même de nos cultivateurs. (Marques d’approbation sur les bancs écologistes)

M. Richard Yung. – La difficulté, c’est que la jurisprudence est contradictoire en cette matière – voyez les décisions brocolis, qui s’opposent à la jurisprudence tomates.

Ces amendements empêcheraient de protéger des produits biologiques utiles. Je pense à des antibactériens naturels ou à l’usage de certains venins de serpent comme antidouleur.

Mme Évelyne Didier. – Ne confondons pas le gène natif et le procédé qui l’utilise. Un composant naturel d’une plante ou d’un fruit ne saurait être brevetable, faute de quoi son utilisation, à l’avenir, sera soumise au versement de royalties, ce qui tuerait notre recherche.

Mme Marie-Christine Blandin. – M. Yung défend les inventions. Ce n’est pas ce dont nous parlons. Décrire ce qui existe ne saurait conférer la propriété de ce qu’on a décrit ! Imaginez qu’une firme américaine décrive minutieusement l’amertume de la gentiane : c’en serait fini de son utilisation gratuite pour la Suze ou l’Aveze ! Attention à ces grandes firmes qui veulent confisquer le vivant pour nous le revendre ensuite !

De nombreuses entreprises et structures de recherche s’alarment de cette hypothèse, qui privatiserait le vivant au profit des plus grands groupes et freinerait leur compétitivité.

M. Ronan Dantec. – Ne confondons les lettres et les mots : ne privatisons pas les lettres, que sont en quelque sorte les gènes natifs. Les mots qui seront faits avec cet alphabet, c’est-à-dire les produits composés à partir de ces traits natifs, pourront toujours être brevetés.

M. Joël Labbé. – Ne confondons pas les inventions, évidemment brevetables, et les découvertes de mécanismes naturels, qui ne peuvent bien sûr pas l’être – c’est de cela que nous parlons.

Les amendements identiques nos43, 54 et 178 sont adoptés.

L’article 4 bis, modifié, est adopté.

  • ARTICLE 4 TER

Mme la présidente. – Amendement n°201, présenté par M. Yung.

Rédiger ainsi cet article :

L’article L. 613-2-3 du code de la propriété intellectuelle est complété par un alinéa ainsi rédigé :

« La protection conférée par un brevet relatif à une matière biologique dotée, du fait de l’invention, de propriétés déterminées ne s’étend pas aux matières biologiques dotées de ces propriétés déterminées, obtenues indépendamment de la matière biologique brevetée et par procédé essentiellement biologique, ni aux matières biologiques obtenues à partir de ces dernières, par reproduction ou multiplication. »

M. Richard Yung. – Je vous propose de rétablir la rédaction adoptée par le Sénat en première lecture.

Limitons le champ de la brevetabilité en interdisant au titulaire d’un brevet relatif à une matière biologique obtenue par des procédés techniques de revendiquer un droit sur une matière biologique identique obtenue par des procédés essentiellement biologiques.

M. Jérôme Bignon, rapporteur. – Cet amendement est satisfait par le texte de la commission, qui n’a procédé qu’à quelques corrections rédactionnelles.

Mme Barbara Pompili, secrétaire d’État. – C’est un bon point d’équilibre. Avis favorable.

M. Jean Bizet. – L’amendement de M. Yung est proche de la perfection : ancien rapporteur de la loi de transposition de la directive de 1998, je le voterai.

L’amendement n°201 est adopté et l’article 4 ter est ainsi rédigé.