Le génériqueur peut-il encore espérer échapper à l’interdiction en référé de L.615-3 ?

L’arrêt du 21 mars 2012 rendu par la Chambre 2 du Pôle 1 limite singulièrement les chances du génériqueur d’échapper à l’interdiction de l’article L.615-3 du C.P.I, quand le début de la commercialisation de son médicament est annoncé avant le terme du CCP.

Les parties et les faits

1°) NOVARTIS AG est titulaire du brevet français FR 88.02.597 déposé le 29 février 1988 et publié sous le numéro 2.611.707, sous la priorité d’un brevet allemand DE 3.706 9144 du 4 mars 1987. Ce brevet porte sur une molécule dénommée « Rivastigmine », qui est commercialisée par la SAS NOVARTIS PHARMA en France, sous la marque EXELON, pour le traitement symptomatique des maladies d’Alzheimer et de la démence liée à la maladie de Parkinson. Ce brevet a été délivré dans une quinzaine de pays

NOVARTIS AG est titulaire du CCP délivré le 20 février 2001 et qui expire le 31 juillet 2012.

NOVARTIS PHARMA est licenciée du brevet et du CCP.

2°) 1er et 4 octobre 2010, MYLAN et QUALIMED obtiennent de l’AFSSAPS l’autorisation de mise sur le marché des spécialités pharmaceutiques dénommées RIVASTIGMINE QUALIMED et RIVASTIGMINE MYLAN

Comme le rappelle la Cour :  » conformément à l’article L. 5121-10 du code de la santé publique, la société NOVARTIS a été informée de la délivrance de ces AMM pour des spécialités qui sont des génériques de la spécialité EXELON (1, 5, 3 4, 5 6 mg, gélule) par l’AFSSAPS ».

La procédure antérieure à l’arrêt

17 mars 2011 : assignation de MYLAN et QUALIMED par NOVARTIS AG et NOVARTIS PHARMA en référé pour obtenir l’interdiction des médicaments RIVASTIGMINE MYLAN et RIVASTIGMINE QUALIMED.

21 juin 2011 : le juge des référés du TGI de Paris rejette ces demandes en retenant une contestation quant au défaut d’activité inventive du brevet.

8 juillet 2011 : appel de cette ordonnance

L’arrêt du 21 mars 2012

1°) Sur la caractère imminent de l’atteinte

L’analyse de la Cour porte sur deux temps distincts

Considérant que le législateur a autorisé les génériqueurs à effectuer toutes les formalités nécessaires à la mise sur le marché de leur produit avant l’extinction des droits de propriété intellectuelle sur le produit princeps ainsi que cela est prévu à l’article L. 5121-10 du code de la santé publique ; que de même, ils peuvent faire inscrire leur produit sur la liste des médicaments remboursables et sur le répertoire des génériques, ces formalités se faisant sous réserve de l’information du titulaire des droits;

Considérant que le seul fait, pour MYLAN et QUALIMED, d’avoir accompli ces diligences avant l’expiration des droits des sociétés NOV ARTIS ne suffit donc pas à démontrer l’atteinte imminente portée aux droits de celles-ci; que n’est pas davantage probante la simple lettre de mise en garde adressée par les titulaires des droits à MYLAN le 17 décembre 2010

  • Puis

Qu’en revanche, le 17 février 2011, NOVARTIS PHARMA était informée par le Comité économique des produits de santé que « MYLAN avait confirmé pouvoir commercialiser ses spécialités génériques Rivastigmine MYLAN et Rivastigmine QUALIMED sans enfreindre les droits déclarés, dans un délai de six mois suivant l’inscription au JORF« , donc avant l’expiration des droits des sociétés NOV ARTIS

Que l’atteinte aux droits conférés par le titre est ainsi imminente, sous réserve de la discussion portant sur la validité de ce titre, objet du litige.

2°) Sur la question de la validité du titre

Deux points importants

  • Le rôle limité du juge des référés

cette loi [29 octobre 2007] a seulement subordonné les mesures de l’article L. 615-3 au caractère vraisemblable de l’atteinte aux droits protégés et non à la vraisemblance de la validité du brevet dont ils sont issus; que, devant le juge des référés, juge de l’évidence, seule la nullité manifeste du titre peut rendre non vraisemblable l’atteinte imminente à ces droits

Considérant que, sauf à s’ériger en homme de science, le juge des référés ne saurait, avec les pouvoirs qui sont les siens, considérer qu’il est manifeste que, parmi les molécules préférées de PROTERRA (RA4, RAS, RA6, RAIS, RAI4, RA7, RA8), la molécule RA7 avait été particulièrement mise en exergue, parmi les autres dont certaines avaient des propriétés analogues, que la séparation des isomères de cette molécule était préconisée par PROTERRA, ou du moins par les directives de la FDA (Food and Drug Administration américaine), et que cette séparation était évidente, ne nécessitant que quelques tests de routine, alors que les intimées soulignent elles-mêmes la nécessaire interprétation de documents et d’analyses scientifiques, puisque, à propos de l’article WEINSTOCK (p 28 de leurs conclusions), qu’elles présentent comme une publication « ayant trait à l’étude de certains composés préférés du brevet PROTERRA », elles indiquent: « Le professeur ROSSET affirme que parmi les produits étudiés dans cette publication, aucun n’est meilleur que les autres. Il semblerait que le Pr. ROSSET ait mal interprété les résultats donnés dans cette publication »

  • La chronologie des actions

Considérant encore, qu’alors qu’elles avaient obtenu l’AMM de leur générique les 1er et 4 octobre 2010, et décidé de le commercialiser environ quinze mois avant l’expiration du CCP litigieux dont elles arguent d’une nullité vraisemblable, et que le brevet FR 597 a été déposé depuis une vingtaine d’années, MYLAN et QUALIMED n’ont assigné NOVARTIS aux fins de « constater la nullité de l’ensemble des revendications du brevet FR 2 611 707 (FR 597) pour défaut de nouveauté ou d’activité inventive, et en conséquence, prononcer la nullité du CCP FR 98 C 0033 », devant le juge du fond, qu’au lendemain de l’assignation en référé qui a été délivrée à leur encontre par les titulaires de la protection

Qu’il suffisait, cependant, à MYLAN et QUALIMED de délivrer l’assignation en nullité dudit brevet dans des délais leur permettant d’obtenir un jugement au fond, avant de procéder, le cas échéant, à la commercialisation du médicament litigieux, pour éviter toute atteinte aux droits des titulaires de ce brevet

La Cour infirme l’ordonnance et prononce des mesures d’interdiction.