Actes de concurrence déloyale connexes à des actes de contrefaçon, quel juge des référés saisir ? Importance du brevet déposé par le présumé contrefacteur.

Le titulaire du brevet bénéficie au Code de la propriété intellectuelle d’une action spécifique devant le juge des référés. Peut-il encore invoquer devant ce même juge l’action en concurrence déloyale de droit commun ?L’arrêt du 13 janvier 2013 y répond. Cette décision montre aussi l’importance que peut présenter l’existence d’un brevet par le présumé contrefacteur.

CIE EUROPE invoque différents titres à  propos d’une gamme de produits dénommée « compactor », des boîtes de rangement avec une housse intérieure de compression. (Le lecteur pressé et intéressé que par le brevet ira directement à la fin de la liste)

– Un modèle français n°074099 du 14 septembre 2007 publié au BOPI sous le numéro 2007-24 le 30 novembre 2007

– Un modèle communautaire n°000854799 du 28 décembre 2007 enregistré et publié le 4 mars 2008.

– Différentes marques françaises en classe 16 pour chacun des termes compactor, compactino, aspilli, aspilito, aspispace et Espace+

-Différentes marques communautaires n°9012972 COMPRESSBAG, 9012899 COMPRESSCASE, 9012873 COMPRESSPACK, 901964 COMPRESSBOX en classes 16 et 18

– Différentes marques chinoises COMPACTOR.

– Une demande de brevet français publiée les 11 et 12 mars 2010 sous le n° FR 2 935 693, précédée d’une enveloppe SOLEAU  déposée le 5 juillet 2008 à l’INPI. (L’arrêt cite également un PCT)

AUCHAN  réalise des campagnes promotionnelles pour  nous apprend l’arrêt « une malle gain de place par aspiration en juin-juillet 2011 et septembre 2011 sous la marque COMPRESS IT fournie par la SA MONDEX ».

Après une mise en demeure infructueuse de AUCHAN, CIE EUROPE assigne MONDEX.

L’assignation est en référé devant le TGI de Paris et invoque aux fins d’interdiction et de condamnation les articles :

–       L511-1 et suivants,

–       L611-1 et suivants

–       et L711-1 et suivants du code de la propriété intellectuelle,

–       1382 du code civil

–       et 699, 700 et 808 du code de procédure civile

Ordonnance du 19 avril 2012 : le juge des référés déboute CIE EUROPE et la condamne  au paiement d’une somme de 5.000 euros sur le fondement de l’article 700

CIE EUROPE fait appel.

Par l’arrêt du 13 janvier 2013, la Cour de Paris confirme l’ordonnance de référé ;

  • L’ordonnance du juge des référés a refusé d’examiner les demandes fondées sur la concurrence déloyale. Pour ce premier juge, le caractère spécifique des dispositions du CPI et le caractère connexe des actes de concurrence déloyale qu’elles visent, excluent le recours à l’article 1382 du Code civil

Considérant que la société CIE EUROPE soutient d’abord que sa demande relative à l’imitation des emballages et des produits, présentée sur le fondement de l’article 808 du code de procédure civile était recevable dès lors qu’il n’existait pas de procédure particulière de référé de ce chef ; qu’elle vise devant la cour les articles 808 et suivants du code de procédure civile ;

Considérant que la société MONDEX relève que les articles 808 et 809 du code de procédure civile ne peuvent s’appliquer dès lors qu’il est argué de contrefaçon de brevets, de marques et de modèles ;

Considérant que la société CIE EUROPE a saisi le juge des référés de demandes d’interdiction et de provision fondées sur les articles L511-1 et suivants, L 611-1 et suivants, L 711-1 et suivants du code de la propriété intellectuelle, sur l’article 1382 du code civil et sur l’article 808 du code de procédure civile ; qu’elle a invoqué une contrefaçon de brevet, de modèle et de marque ainsi que des actes de concurrence déloyale ;

Considérant qu’elle a distingué les fondements de ses demandes à savoir ceux sur les textes spécifiques du code de la propriété intellectuelle pour les contrefaçons de brevet, de modèle et de marque et celui sur le code civil pour la concurrence déloyale ; que les premières demandes sont présentées devant le juge des référés saisi en vertu des articles L615-3, L 521-6, L716-6 du code de la propriété intellectuelle et la demande sur la concurrence déloyale est présentée sur le fondement de l’article 808 du code de procédure civile ;

Considérant que le premier juge ne peut donc être suivi en ce qu’il a refusé d’examiner la demande au titre des actes de concurrence déloyale au motif que les articles L 521-6 et L 716-6 du code de la propriété intellectuelle concernent les actions en contrefaçon de modèle ou de marque et ne peuvent trouver à s’appliquer à des actes de concurrence déloyale connexes portant sur l’imitation des emballages des produits argués de contrefaçon alors que la société CIE EUROPE n’a pas fondé sa demande relative à ces actes sur le fondement des textes spécifiques ;

Considérant qu’il s’ensuit que la demande d’interdiction liée aux faits de concurrence déloyale ne relevant pas de la procédure spécifique dérogatoire du droit commun prévue par les articles du code de la propriété intellectuelle, étant distincte et formée sur le texte de droit  commun, doit être examinée par le juge des référés régulièrement saisi ; que la demande présentée de ce chef est recevable ;

  • Sur l’atteinte au brevet

– Tout d’abord, un problème de démonstration

…….

Considérant d’autre part, qu’il est fait état de la contrefaçon de 9 des 11 revendications du brevet sans qu’il soit précisé pour chacune d’elle en quoi l’atteinte portée au titre est vraisemblable ; qu’il est seulement fait état dans les conclusions non paginées de la société CIE EUROPE que ‘les produits querellés reproduisent la forme caractéristique et originale de la partie intérieure en soufflet de la housse intérieure du compactor qui constitue les revendications n°1 à 8 du brevet n°08 55988 et de la demande de brevet …’ ; qu’il n’appartient pas à la cour de suppléer la carence de la société CIE EUROPE dans la caractérisation de l’atteinte susceptible d’avoir été portée à chacune des revendications invoquées de son brevet ;

– Et une situation complexe

….

Considérant qu’en tout état de cause, il résulte des pièces produites par la société MONDEX que la société chinoise TAILI qui fabrique des boîtes de rangement comportant des sacs de compression sous vide, a déposé le 21 mars 2006 un brevet de modèle d’utilité chinois portant sur un ‘ sac de compression sous vide avec boîte de protection’ qui est représenté dans ses catalogues à partir de 2007 ;

Considérant qu’il est versé aux débats, une déclaration de M. W…..Z exposant travailler depuis février 2006 sur la structure des produits et avoir mis au point la boîte de rangement, objet du brevet d’utilité précité et suite à des retours à raison de défauts du produit, il précise avoir mis au point un produit définitif le 2 mars 2008 qui a fait l’objet d’un dépôt de brevet par M. S….Z ;

Considérant que cela est confirmé par un certificat de M. Y….W qui dit avoir soumis la documentation technique remise par M. W….Z au bureau des brevets le 24 mars 2008;

Considérant, par ailleurs, qu’il est établi qu’au cours de l’année 2007, la société TAILI et la société CIE EUROPE sont entrées en relation et ont conclu le 26 septembre 2007 un accord de distribution exclusive dans lequel la société TAILI a confié à la société CIE EUROPE la distribution des produits notamment en France, des boîtes AY 49, AY 50 et AY 51 et tout autre produit similaire fait d’un sac à vide et d’une malle de stockage extérieur où le design a pu être modifié ;

Considérant qu’il résulte de ces éléments que les deux sociétés ont été en relations commerciales et que l’accord est entré en vigueur à compter du 1er janvier 2008 ;

Considérant qu’elles ont été amenées à déposer toutes deux en mars et septembre 2008 un brevet relatif à une invention à un sac de compression sous vide dont le fond comporte une enveloppe destinée à recevoir une plaque de soutien articulée ;

Considérant que la société CIE EUREOPE prétend que la société chinoise aurait profité de l’envoi d’un prototype en février 2008 afin de lancer la fabrication industrielle pour déposer en fraude de ses droits, son brevet ; qu’elle fournit les attestations de Mme D et de M. B ; que la première déclare avoir réalisé en une journée un prototype de housse extérieure entourant une housse de compression sous vide munie d’une double membrane dans son fond auquel elle aurait appliqué des sangles rayées gris et blanc à l’extérieur de la housse pour se différencier et ajoute que la partie intérieure, fond cartonné et housse de compression avec membrane devait partir chez un soustraitant chinois ; que l’attestation de M. B mentionne qu’il a travaillé de 2006 à 2010 pour la société CIE EUROPE et déclare avoir envoyé le prototype au sous-traitant chinois en février (sans préciser l’année) aux fins de savoir s’il était industrialisable ;

Considérant que la partie adverse produit une attestation notariée 16 mars 2012 d’où il résulte qu’il a été fait une capture d’écran d’un dossier brevet avec une fenêtre brevet sac d’aspiration à fond carré dont l’enregistrement serait du 19 mars 2007 reproduisant les dessins de l’invention soit antérieurement au prototype invoqué par la société CIE EUROPE ;

Considérant qu’il s’ensuit que les attestations des collaborateurs de la société CIE EUROPE ne sont pas suffisamment précises pour dire que les améliorations évoquées par M. Z et le dépôt du brevet chinois de mars 2008 sont la résultante de cette communication du prototype français et au vu de la pièce opposée relative à un dessin datant de 2007 ne sont pas le fait de l’activité inventive des collaborateurs de la société chinoise ;

Considérant qu’au surplus, les sociétés TAILI et MONDEX ont intenté une action en revendication du brevet français de la société CIE EUROPE et de la demande de brevet international subséquente sur le fondement de l’article L 611-8 du code de la propriété intellectuelle à raison du caractère frauduleux du dépôt de ceux-ci ;

que le titre invoqué au soutien de la demande est donc remis en cause ; que cette instance est toujours en cours devant le tribunal de grande instance de Paris ;

Considérant que dans ces conditions, eu égard au contexte dans lequel s’inscrit le litige et des éléments de preuve limités apportés par la société CIE EUROPE, la vraisemblance de l’atteinte invoquée à ses droits qui sont par ailleurs contestés, n’est pas rapportée ; que l’ordonnance est confirmée en ce qu’elle l’a déboutée de ses demandes à ce titre ;