5 constats d’huissier article 145 annulés par la Cour de Paris le 13 avril 2012 dans une affaire de revendication de brevet

Le contentieux de l’annulation de la saisie-contrefaçon est fréquemment abordé ici. Les constats autorisés au visa de l’article 145 du code de procédure civile sont plus rarement examinés par le juge des brevets. L’ arrêt du 13 avril 2012 en ce qu’il a en annulé cinq au regard notamment de la Convention européenne des droits de l’homme mérite d’être amplement cité.

17 septembre 2009 : la société M….. engage une procédure portant revendication de brevet. Ses demandes visent également des actes de désorganisation et de débauchage, nous n’en parlerons pas ici.

Cette action est dirigée contre cinq anciens salariés et une société A….. .

17 septembre 2009 : la société M……. fait procédé à des constats au domicile de chacun de ses cinq anciens employés et dans les locaux de la société A…. . Ces constats ont été autorisés par le Président du TGI de Châteauroux au visa de l’article 145 du Code de procédure civile par une ordonnance du 15 septembre.

Le 28 janvier 2011 : le TGI de Paris rejette les demandes  en annulation des constats et renvoie les parties à conclure « pour désigner un expert aux fins de trier les pièces saisies »

L’arrêt du 13 avril 2012 de la Cour de Paris se prononce sur la recevabilité de l’appel des cinq anciens employés,  et sur les constats du 17 septembre 2009.

Disons-le tout de suite, la Cour de Paris annule ces six constats par des développements qui doivent retenir toute notre attention.

  • Tout d’abord, comment les huissiers ont notifié leur mission aux différentes personnes concernées :

Qu’il ressort de l’examen des six procès-verbaux dressés le 17 septembre 2009 (pièces 35 à 52 de la société M….. :

– que les opérations menées au domicile de Monsieur L…….ont débuté à 6 heures 25 après lecture de l’ordonnance et qu’il est fait mention d’une signification de l’ordonnance les autorisant à 6 heures25,

– qu’en ce qui concerne les opérations menées chez Monsieur B…………, le procès-verbal ne mentionne ni l’heure de la signification de cette ordonnance ni de celle du début des opérations, seul étant précisé un transport sur les lieux ‘à partir de 6 heures 30« ,

– qu’il en est de même pour Monsieur E………, l’huissier précisant seulement qu’il a « expliqué le but de ( s a ) visite »   à   u n e   femme   s e   présentant comme   une amie d e  Monsieur E ……. e t   l u i   a   s i g n i f i é  l’ordonnance,

– que pour ce qui est des opérations menées chez Monsieur P……., le procès-verbal précise que l’huissier a « exposé l’objet de sa mission » à sa compagne puis à Monsieur P…., par téléphone, sans précision d’heure,

– qu’il est indiqué dans le procès-verbal relatif aux opérations menées chez Monsieur D…..qu’elles ont débuté « immédiatement »  après la signification de l’ordonnance à sa personne,

– que les opérations menées au siège de la société A……. ont débuté à 6 heures 30 du matin et le procès-verbal mentionne que personne n’étant habilité à recevoir l’acte, l’ordonnance a été remise à l’étude de l’huissier ;

  • La position de la société M….. qui avait pris ces initiatives

Cette ordonnance fondée sur les articles 145 (relatif aux mesures d’instruction) , 232 à 255 (relatifs aux mesures d’instruction exécutées par un technicien) et 493 à 498 (relatifs aux ordonnances sur requête) du code de procédure civile, ne peut pas être soumise aux textes spéciaux relatifs à la saisie-contrefaçon qui exigent à peine de nullité, tel l’article R 615-2-1 en matière de brevet, qu »avant de procéder à la saisie, l’huissier doit donner copie aux détenteurs des objets saisis ou décrits de l’ordonnance »

  • Premier(s) motif(s) d’annulation pour la Cour : l’absence de délai entre la notification de l’ordonnance et le début des opérations

Qu’il n’en demeure pas moins que quand bien même le Président du tribunal de Châteauroux a pu considérer qu’il autorisait des mesures légalement admissible, l’ordonnance rendue autorisait les huissiers instrumentaires à accomplir des actes excédant ceux que permet un simple constat, ce que ne pouvaient ignorer ces officiers ministériels, et en particulier la saisie réelle ou par voie de photocopies de documents ou données informatiques (points 1, 4 et 5 de l’ordonnance) et qu’il était nécessaire, avant d’exécuter une telle mesure, que celui au préjudice duquel elle était pratiquée soit informé des motifs la justifiant ainsi que de l’étendue des investigations autorisées afin, notamment, de pouvoir contrôler durant l’exécution de la mission si le cadre en était respecté ;

Que cette exigence résulte en particulier, comme le fait valoir Monsieur L…., des dispositions de l’article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 destiné à assurer la protection des droits de la défense et à garantir l’égalité des armes ;

Qu’il ressort de l’examen des différentes notifications explicitées ci-avant qu’aucun délai ne s’est écoulé entre la signification de l’ordonnance et le début des opérations pratiquées au domicile de Monsieur L……et qu’en l’absence de précisions utiles permettant de considérer que les autres intéressés, comme détaillé ci-avant, ont bénéficié d’un délai raisonnable les mettant à même de prendre valablement   connaissance  des  motifs  de  la  mesure et  de l ‘étendue  des  investigations autorisées, il n’est pas établi qu’ils aient été valablement informés de la mesure;

  • Le(s) dépassement(s) par les huissiers de leur mission

Considérant, par ailleurs, et s’agissant de la méconnaissance, par les huissiers, des limites de l’autorisation qui leur était accordée par l’ordonnance présidentielle, que celle-ci autorisait (en son point 1) la société M……, par tout huissier territorialement compétent « (…) à se faire remettre et à rechercher, puis à copier intégralement (..) tous documents, fichiers informatiques, dessins, courriels, lettres et autres, sur quelque support que ce soit (…) :

relatifs au concept carrousel, au dépôt et à l’obtention du brevet n° 06 11534, de la demande internationale de brevet n° WO 2008/099070 et de tous autres brevets ou demandes de brevets correspondants,

ou liés à la constitution entre eux ou certains d’entre eux d’une société concurrente de la société M……………. ou à son activité, à condition que les éléments litigieux aient été rédigés ou copiés pendant le contrat de travail de Messieurs B……., P…………, E…………., D……… ou L……….,

‘ ou comportant un ou plusieurs mots-clés suivants, dans leur nom ou leur contenu : (énumération de mots sur dix lignes) à l’exception chez la société A…….(…) ainsi que chez Messieurs B………., D…….., E…………,  P……….., des mots-clefs b………, d………., e………., p……….et chez la société J……….ainsi que chez Monsieur L………….du mot-clef l………. ;

Que le point 3 de l’ordonnance n’autorisait les huissiers à emporter les supports visés au point 1 qu’encas de difficulté et/ou impossibilité d’effectuer les copies sur place ;

Que les appelants portent une appréciation pertinente sur les termes de cette ordonnance en affirmant qu’il revenait aux huissiers instrumentaires de ne se faire remettre, rechercher ou copier que des documents dont il leur appartenait d’apprécier, au moment où ils menaient leurs investigations qu’ils étaient effectivement en relation avec le concept de carrousel et le dépôt de brevets s’y rapportant ou avec la constitution d’une société concurrente ; qu’il leur revenait également d’exclure  des investigations menées à partir des nombreux mots-clefs précisés dans l’ordonnance les documents comportant les mots-clefs présentés comme des exceptions ;

Que l’examen des différents procès-verbaux versés aux débats permet de considérer qu’ont été saisis, s a n s  l e  discernement  r e q u i s ,   d e s   s u p p o r t s   d e   t o u t e s   n a t u r e s ,   ce   q u e   n e   p e u t   n i e r   l a   s o c i é t é M…………..qui exposait dans ses conclusions n° 3 devant le juge de la mise en état et dans un chapitre intitulé ‘2.2 sur la mission de l’expert’ (pièce 7, page 17 de Monsieur L……….)

Afin de ménager l’effet de surprise nécessaire à la réalisation des opérations de constat et le respect du principe du contradictoire, la société M……………avait pris soin de requérir que les huissiers instrumentaires ne lui communiquent pas les éléments saisis lors de leurs opérations mais les conservent confidentiels, à charge pour un expert désigné contradictoirement de faire le tri entre les éléments utiles à la preuve des faits allégués, même argués de confidentialité, dont il est légitime qu’ils soient remis et ceux éventuellement sans rapport avec la cause, dont elle ne demande pas la communication

et qui a vu sa demande accueillie puisqu’au motif que « cette mesure d’instruction portant sur le tri des éléments pertinents pour le présent litige est indispensable à l’avancement de l’instance qui a été engagée il y a deux ans « , le juge de la mise en état a donné mission à l’expert désigné d’examiner le contenu des documents et d’y rechercher toute information relative au concept carrousel, au dépôt et à l’obtention de brevets et à l’existence d’actes de concurrence déloyale (ordonnance du 30 septembre 2011, pièce 8 de Monsieur L………. ;

Que la société M…………. ne peut valablement tirer argument des points 3 et 4 de l’ordonnance du 15  ordonnances 2009 autorisant les huissiers à emporter les supports ou à procéder à toutes investigations et constatations « utiles à la manifestation de la vérité » dès lors que le transport, les investigations et constatations autorisés ne pouvaient, sauf contradiction de motifs, excéder l’objet précis de la mission définie au point 1 de l’ordonnance ;

Qu’il résulte de ce qui précède que tant dans la forme, pour ce qui est de la signification de l’ordonnance autorisant les mesures telles que pratiquées, que dans les opérations elles-mêmes, menées en ne respectant pas scrupuleusement les termes et les limites de la mission, l’ensemble des procès-verbaux de constats dressés à la requête de la société M …………… doit être annulé ;