Cession de brevet et prix dérisoire

La nullité d’un contrat est rarement prononcée, l’arrêt de la Cour de Paris  du 21 avril 2017  est d’autant plus intéressant qu’il annule la cession d’une invention.

Un inventeur cède pour 200 € à une société les droits d’exploitation de son invention qui a fait l’objet d’enveloppes Soleau. Ultérieurement une demande de brevet est déposée puis une demande PCT et le brevet européen est délivré.

Toutefois, des désaccords apparaissent entre l’inventeur et la société.

Le Tribunal de grande instance annule le contrat.

La Cour d’appel infirme le jugement.

La Cour de cassation casse l’arrêt.

Et l’affaire revient devant la Cour d’appel de Paris qui examine ce prix de 200 €.

Ne sont cités ci-dessous que les développements relatifs à la cause de la nullité du contrat.

La position de la société cessionnaire

Considérant que la Société  soutient que le prix d’un montant de 200 euros, versé initialement, n’est pas dérisoire, dès lors qu’au jour du contrat, il n’y avait aucune certitude de « brevetabilité » de l’invention et que les frais engagés par son inventeur se limitait au coût de deux enveloppes Soleau, soit 30 euros au total, en faisant en outre valoir que le bénéficiaire de la cession a dû ultérieurement supporter les frais tant du dépôt de brevet français, que du dépôt de la demande de brevet européen et international ; qu’elle prétend également qu’à cette époque, en raison de l’incertitude sur sa « brevetabilité », l’invention était sans valeur « nettement » définie, ni susceptible de produire des revenus sans investissements préalables et que c’est grâce aux investissements de la Société, que l’invention est devenue « protégeable et brevetable » ;

L’analyse de la Cour de Paris

Mais considérant qu’aux termes de la convention litigieuse, le cédant de l’invention :

  • a irrévocablement renoncé à tout droit d’utilisation, directe ou indirecte, des éléments de l’invention à quelque fin que ce soit, en s’interdisant, en particulier, toute exploitation, directe ou indirecte, à des fins commerciales de produits dont l’obtention ou l’utilisation nécessiteraient la mise en ‘uvre de l’invention (article 3.3 a) ;
  • s’est interdit de déposer ou faire déposer dans un pays quelconque une demande de droit de propriété industrielle quelconque portant sur l’invention (article 3.3 b) ;
  • Qu’au regard du dessaisissement de la quasi totalité de ses droits sur son invention et de la potentialité raisonnablement envisageable de l’exploitation de celle-ci sur le marché des produits peu salés, en raison de l’importance actuelle des maladies cardio-vasculaires, le prix de 200 euros TTC stipulé payable dans les 30 jours de la signature du contrat apparaît comme étant dérisoire ;

Considérant que, pour prétendre que néanmoins le prix n’était pas dérisoire, la Société fait encore valoir que le contrat litigieux stipulait aussi un complément de prix d’un montant de 18.200 euros TTC ;

Mais considérant que le versement de ce complément de prix, quelle que soit sa forme, était subordonné à l’obtention d’un brevet européen dont le dépôt de la demande était à la seule initiative de la Société pour en décider (article 4.1 a), laquelle était en outre seule juge de l’opportunité de la maintenir ou de la retirer (article 4.1 b), en étant aussi libre de disposer comme elle l’entendra sans exception ni réserve, de toute demande de droit de propriété industrielle portant sur l’invention (article 4.1 c) ;

Qu’il s’en déduit que le versement d‘un éventuel complément de prix dépendait d’un événement, dont le débiteur était en mesure de l’empêcher en s’abstenant d’effectuer la demande de brevet européen, qu’il était seul à pouvoir faire, ou à la retirer avant son aboutissement, en en étant seul juge de l’opportunité ;

Qu’une telle obligation est nulle en application de l’article 1174 du code civil, dans sa rédaction applicable à la cause, comme ayant été contractée sous une condition potestative de la part de celui qui s’oblige, étant observé que l’obtention ultérieure du brevet européen ne supprime pas le vice dont la clause était infectée au jour de sa conclusion, d’autant que la demande d’annulation du contrat a été formulée antérieurement à cette obtention ;

Qu’en conséquence, la stipulation du complément de prix au moment de la conclusion du contrat, n’est pas susceptible d’améliorer le prix initial et à lui retirer son caractère dérisoire ;